Arbre et enfant
   La femme et l’enfant : l’arbre et le fruit

La femme enceinte est volontiers assimilée à un arbre porteur de fleurs et celle qui accouche à un arbre qui donne un fruit. Quant à l’épouse stérile ou âgée, elle reçoit l’appellation sans clémence de figuier stérile. En matière de génération, les métaphores agraires ne manquent pas, diffusées par les femmes elles-mêmes : ainsi, au XIIe siècle, l’abbesse Hildegarde de Bingen explique-t-elle que "la femme est constituée (...) pour l’enfantement comme la terre (...) pour produire des fruits". Dans la médecine médiévale, les règles mensuelles sont poétiquement qualifiées de "fleurs", et le sperme de "semence"; la grossesse est comparée à la floraison saisonnière des arbres, et ses dangers aux accidents climatiques qui les affectent : selon le médecin Aldebrandin de Sienne, à la fin du XIIIe siècle, "l’enfant qui est au corps de la femme est comme le fruit des arbres, car vous observerez que d’abord les fleurs ou les fruits sont faiblement attachés à l’arbre et tombent sous l’effet d’un peu de vent ou de pluie, mais quand le fruit grossit, il se tient fort et ne tombe pas facilement ; et quand il voit qu’il est mûr, il tombe comme les fleurs, rapidement". Le fœtus lui-même a donc quelque chose de végétal : on l’appelle "fruit" et, selon le médecin arabe Haly Abbas, il "ressemble à une plante"; pour l’encyclopédiste Barthélemy l’Anglais, le fœtus est "nourri par le nombril comme l’arbre par la racine", et il est alimenté par le cordon ombilical comme le sont la pomme ou la poire par leur queue...

  

   L'enfant-arbre

Les enfants qui grandissent sont volontiers comparés à des arbres qui poussent. Au XIe siècle, saint Anselme, qui d’après son biographe, Eadmer, préconise la douceur dans l’enseignement monastique, justifie sa position en disant que les moines doivent élever les enfants comme un jardinier soigne les arbres : sans chercher à les contraindre, sinon ils poussent contrefaits.
Le motif de l’enfant-arbre perdure à l’extrême fin du Moyen Âge, notamment dans la civilisation italienne où un jeune aristocrate de la famille Sforza est allégorisé, avec son oncle, dans un manuscrit didactique, sous la forme d’un grand arbre (l’oncle) qui sert de "tuteur" - terme qui convient aussi bien au domaine du juridique qu’à celui du jardinage - à son neveu. Il le serre fort et affectueusement contre lui, l’aidant ainsi à pousser droit.
La métaphore humaniste redécouvre et rejoint une idée-force de la pédagogie monastique. Mais d’autres pédagogues de la fin du Moyen Age s’insurgent contre cette douceur dans l’éducation, qu’ils assimilent à du laxisme. Sébastien Brant, dans La Nef des fous, estime au contraire que si on laisse trop de liberté aux enfants, ils poussent "comme de la mauvaise herbe". Il en demeure des traces sémantiques : aujourd’hui encore, on dit bien des jeunes enfants qu’ils "poussent" et de nombreux parents plantent un arbre à la naissance de leurs enfants, pérennisant sans le savoir un très ancien concept...

 

Le maître jardinier

   "Si, par la suite, tu l’enfermes de telle sorte que ses rameaux ne peuvent s’étendre, l’ayant ainsi empêché de croître pendant des années, je te demande de me dire, comment se présentera cet arbre ? Assurément, ses rameaux seront recourbés et enchevêtrés, et à qui la faute, sinon à toi qui l’as contraint avec excès. Vous faites de même avec vos enfants. Les parents qui les ont offerts au monastère les ont plantés dans le champ de l’Église pour qu’ils croissent et fructifient en Dieu, et vous les contraignez par la terreur, les menaces et les coups de fouet, sans leur permettre aucune liberté. C’est pourquoi par suite d’un excès d’autorité qui les étouffe, les enfants entretiennent en eux des méchancetés et des sentiments enchevêtrés comme des épines".
Vie de saint Anselme, par Eadmer (XIIe siècle).
   
Comment "poussent" les enfants

"Qui laisse ses enfants
Pousser comme il leur plaît
sans les dresser jamais
s’exposera un jour
à d’affligeants déboires (...).

"A force de ne pas
redresser les enfants
les Catilina poussent
comme de la mauvaise herbe".

Sébastien Brant, La Nef des Fous, Allemagne, fin du XVe siècle.

  

 

   Les métaphores végétales de l'enseignement

L’enfant doit pousser droit "comme un I"; cette lettre, dans l’alphabet médiéval, sert parfois de support à l’image d’un arbre ; au XVe siècle, les lettres poussent sur l’arbre à alphabet, au pied duquel étudient les élèves ; il apprend les lettres, éparpillées au sol comme autant de feuilles d’automne ; au XVIe siècle, l’alphabet est d’ailleurs disposé à raison d’une lettre par feuille sur la branche de sagesse, qui s’oppose au rameau d’ignorance, branchage mort et épineux... La métaphore végétale est employée par tous les types de pédagogues médiévaux : mères de famille, moines, clercs et prédicateurs. Pour ces derniers, "prêcher, c’est faire un arbre".

 

L'arbre de mai, fête de la jeunesse

Le premier mai, une fête de la végétation, qui est aussi une fête de la jeunesse, se déroule dès l’aube. Les grands nobles se déguisent en arbres, se revêtant de costumes verts et feuillus, parés de guirlandes végétales ; les jeunes paysans et citadins, de même que les jeunes aristocrates, partent dans les bois couper de jeunes arbres ou des branches, les "mais", afin de les offrir à l’élue de leur cœur : essences parfumées et fleuries pour les jeunes filles charmantes, branches d’épineux pour celles qui ont fait preuve d’un caractère désagréable.