regards sur la villealbumsEugène Atgetpistes pédagogiques

La politique des municipalités

Maurice Halbwachs
La politique foncière des municipalités, Paris, Librairie du parti socialiste, 1908.
(texte téléchargeable sur le site des Classiques des sciences sociales).

"Mais les municipalités ne s'inspireront pas seulement de raisons d'esthétique ou d'hygiène. Elles n'oublieront pas que les modes suivant lesquels les habitants d'une ville sont distribués et groupés influent beaucoup sur leurs sentiments sociaux. Obligées d'accepter provisoirement la division spontanée des villes en quartiers riches et pauvres, et d'appliquer, en matière foncière, des règlements distincts à ces régions ainsi séparées, elles considéreront qu'une telle opposition est provisoire. Les socialistes ne nient point hypocritement l'existence des classes : mais ils ne tiennent pas à ce qu'elles s'isolent les unes des autres dans l'espace. Sans doute, il y aura toujours des emplacements meilleurs que d'autres, des maisons plus aérées, plus proches des centres, des parcs, des plus belles avenues. Sans doute aussi, c'est là que les plus riches s'établiront de préférence. Mais il n'y aura plus, si les municipalités le veulent, des parties compactes de la ville qui sont comme les camps retranchés de la population bourgeoise, où celle-ci s'habitue à ignorer, à craindre, à détester la classe ouvrière, massée à d'autres points de l'horizon, en des quartiers ou des rues où l'on ne s'aventure pas.
Tout le mal vient de ce qu'on ne reconnaît pas les relations d'étroite solidarité par où tous les intérêts et toutes les régions de la ville se rattachent. L'anarchie qui résulte en général de la propriété individuelle se manifeste ici avec intensité. Ce ne sont pas les mêmes propriétaires qu'on exproprie et qui profitent des transformations de la ville. Ceux des quartiers riches se soucient peu des quartiers pauvres, et de ce qui s'y peut passer.

Les propriétaires de maisons bâties ne désirent pas que soient mis en valeur les terrains non bâtis voisins. Plusieurs propriétaires d'un même terrain ne s'entendent pas sur le tracé des rues nouvelles, et la redistribution de leurs parcelles. Les bourgeois ne s'aperçoivent pas que la misère, le manque d'air et d'espace, dans les régions pauvres de la ville, produisent la tuberculose et les maladies infectieuses qui les guettent. Les ouvriers ignorent que les quartiers riches produisent chaque année, sous forme de plus-value, les ressources nécessaires pour transformer les quartiers misérables, et que la Ville les laisse capter."