regards sur la villealbumsEugène Atgetpistes pédagogiques

Le Paris d’André Breton

André Breton
Nadja, (1964) Paris, Gallimard Folio, 2005, p. 36-38 et 71-72
"On peut, en attendant, être sûr de me rencontrer dans Paris, de ne pas passer plus de trois jours sans me voir aller et venir, vers la fin de l’après-midi, boulevard Bonne-Nouvelle entre l’imprimerie du Matin et le boulevard de Strasbourg. Je ne sais pourquoi c’est là, en effet, que mes pas me portent, que je me rends presque toujours sans but déterminé, sans rien de décidant que cette donnée obscure, à savoir que c’est là que se passera cela ( ?). Je ne vois guère, sur ce rapide parcours, ce qui pourrait, même à mon insu, constituer pour moi un pôle d’attraction, ni dans l’espace ni dans le temps. Non : pas même la très belle et très inutile Porte Saint-Denis."

"Le 4 octobre dernier [1926], à la fin d’un de ces après-midi tout à fait désœuvrés et très mornes, comme j’ai le secret d’en passer, je me trouvais rue Lafayette : après m’être arrêté quelques minutes devant la vitrine de la librairie de L’Humanité et avoir fait l’acquisition du dernier ouvrage de Trotski, sans but je poursuivais ma route dans la direction de l’Opéra. Les bureaux, les ateliers commençaient à se vider, du haut en bas des maisons des portes se fermaient, des gens sur le trottoir se serraient la main, il commençait tout de même à y avoir plus de monde. J'observais sans le vouloir des visages, des accoutrements, des allures. Allons, ce n'étaient pas encore ceux-là qu'on trouverait prêts à faire la Révolution. Je venais de traverser ce carrefour dont j'oublie ou ignore le nom, là, devant une église. Tout à coup, alors qu'elle est peut-être encore à dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, très pauvrement vêtue, qui, elle-aussi, me voit ou m'a vu. Elle va la tête haute, contrairement çà tous les autres passants. Si frêle qu'elle se pose à peine en marchant."