Atget ou l'intransigeance
Atget et le théâtre
Issu d'une famille modeste (son père était carrossier),
Jean Eugène Auguste Atget est né à Libourne le
12 février 1857. Après avoir été élevé
par ses grands-parents à Bordeaux, il s'engage comme marin
sur des bateaux de commerce. Il s'installe en 1878 à Paris
dans l'espoir devenir acteur au Conservatoire national de musique
et d'art dramatique. Après un premier échec, il entre
en 1879 dans la classe d'Edmond Got, célèbre comédien
à la Comédie-Française. Mais, très vite,
ses obligations militaires l’empêchent de mener à
bien ses études et, en 1881, il se fait définitivement
exclure du cours. Il engage alors une carrière d'acteur ambulant
jusqu’en 1887, date à laquelle une affection à
la gorge l'oblige à abandonner le théâtre. Un
an après ses déboires, Atget se consacre
simultanément
à la peinture et à la photographie. Il choisit finalement
de commencer une carrière de photographe professionnel en 1890.
En marge de son nouveau métier, Atget continue de s’intéresser
au théâtre. Il se déclare en effet lui-même
“artiste dramatique” jusqu’en 1912, date à
laquelle il prend le titre d’“auteur-éditeur d’un
recueil photographique du vieux Paris”. Enfin, de 1904 à
1913, parallèlement à son activité de photographe,
il donne des conférences sur le théâtre dans les
universités populaires, à la Maison du peuple, à
la Coopérative socialiste et à l’École
des hautes études en sciences sociales. Du théâtre,
Atget garda un goût prononcé qu’il traduisit sur
ses photographies par de constantes analogies entre les deux activités.
Sa carrière théâtrale fut donc courte, mais prolongée,
en quelque sorte, sous des formes diverses.
Les débuts de la photographie (1890- 1910)
Eugène Atget commence la photographie dans la Somme aux alentours
de l'année 1888. Dès 1890, il revient à Paris où
il s'installe comme photographe professionnel voulant, d'après
l'inscription sur sa porte (au 5, rue de la Pitié), produire
des “Documents pour artistes”. Une annonce à caractère
commercial datée du mois de février 1892 décrit
son travail en ces termes : “Paysages, animaux, fleurs, monuments,
documents, premiers plans pour artistes, reproductions de tableaux,
déplacements. Collection n'étant pas dans le commerce.”
Dès 1897, à une époque où la sauvegarde
du vieux Paris devient une cause défendue par un nombre croissant
d’historiens et gens de lettres, Atget commence à photographier
les quartiers anciens de la capitale. Il entreprend aussi de décrire
la vie quotidienne de ces quartiers et, en particulier, de représenter
les petits métiers condamnés par le nouveau développement
du commerce des grands magasins. Habitué à produire des
premiers plans qu'il exécute pour les artistes peintres et dessinateurs,
Atget s'attarde à partir de 1901 sur des détails décoratifs
de l'architecture ancienne, tels les heurtoirs de portes, des pièces
forgées ou encore des éléments sculpturaux qu'il
regroupera dans une série intitulée Art dans le vieux
Paris. Après quelques succès commerciaux (il commence
à vendre aux institutions publiques dès 1898), Atget va
développer son travail sur les cours, les escaliers, les églises
et les hôtels particuliers, bref, tout ce qui à ses yeux
présente un intérêt artistique et historique dans
Paris. Le photographe élargit aussi son champ d’investigation
aux environs de Paris comme Versailles, Sceaux, Saint-Cloud et la banlieue
proche.
La maturité (1910- 1927)
À partir de l'année 1910, Atget envisage son travail d'une
manière plus construite et afin de donner un sens général
à son œuvre déjà bien avancée. Dans
ce but, il commence à regrouper des séries ou sous-séries
sous la forme d'albums de confection artisanale (L'Art dans le vieux
Paris, Intérieurs parisiens, La Voiture à Paris,
Métiers, boutiques et étalages de Paris, Enseignes et
vieilles boutiques de Paris, Zoniers, Fortifications). En pratique,
ces albums lui permettaient de présenter son travail à
ses clients. Ceux-ci choisissaient des épreuves que le photographe
remplaçait au fur et à mesure des ventes. Au-delà
de l'aspect fonctionnel, Atget espérait éditer ces albums
comme les primitifs de la photographie l'avaient déjà
fait avant lui. Atget se définissait d'ailleurs lui-même
comme un “auteur-éditeur d'un recueil photographique du
vieux Paris”. Ses projets d'édition ne verront jamais le
jour, mais L'Art dans le vieux Paris est, à ce titre,
un exemple accompli en matière de mise en page.
Quand la guerre éclate en 1914, Atget ne prend presque plus de
photographies et consacre son temps à l'organisation et au classement
de son œuvre. En 1920, se voyant vieillir, il s'inquiète
du sort de son immense production (plus de huit mille clichés
à la fin de sa vie) et engage une démarche auprès
de Paul Léon, directeur des Beaux-Arts en lui proposant l'achat
de sa collection sur L'Art dans le vieux Paris et Le Paris
pittoresque (2 621 négatifs). Il écrit :
“Marchant vers l'âge, c'est-à-dire vers 70 ans, n'ayant
après moi ni héritier, ni successeur, je suis inquiet
et tourmenté sur l'avenir de cette belle collection de clichés
qui peut tomber dans des mains n'en connaissant pas la valeur et finalement
disparaître, sans profits pour personne.”
Durant la dernière période de sa vie, Atget photographie
peu, mais développe avec ses séries des parcs et des vitrines
un style tout à fait original.