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L'aventure des
écritures
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1. Fixer la parole 2. Signes discrets, signes muets 3. Perec : naissance d'un texte 4. Le signe et le son |
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1. Fixer la parole |
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Lécriture nest pas une simple transcription de la parolePlus que toute autre, lécriture alphabétique sappuie sur une décomposition de la langue. Héritiers dune longue tradition latine, il nous semble acquis que lécriture est la transcription de la chaîne parlée du discours et que les différents sons articulés de notre langue y trouvent leur image fidèle. Lalphabet nous apparaît comme une sorte de miracle de transparence, un décalque parfait de la langue, là où les systèmes idéographiques manifesteraient, eux, une sorte dopacité foncière à la parole. Notre alphabet serait ce miroir idéal où tout ce que nous prononçons serait écrit, où tout ce que nous écrivons serait prononcé. Il nen est rien pourtant, et il nous faudra bien convenir que notre système alphabétique comporte des éléments idéographiques persistants, au rang desquels on peut compter les signes grammaticaux (ainsi la marque du pluriel, les accents permettant de distinguer « ou » et « où », « a » et « à », etc.) qui établissent des différences de sens inaudibles à loreille, Plus largement, lorthographe ne fonde-t-elle pas la détermination du sens sur une reconnaissance purement visuelle du mot ? Cest une lecture idéographique qui nous permet ainsi de distinguer sémantiquement entre « ver », « vert », « vair », « verre » ou « vers », qui se prononcent de manière identique. Lécriture nest donc pas le reflet parfait de la chaîne parlée. Dans les écritures alphabétiques qui ne notent que les racines consonantiques des mots, comme lhébreu et larabe, cette distorsion entre écriture et parole nous apparaît encore plus forte en effet, si le fonctionnement de lécriture arabe ou hébraïque était appliqué à la transcription du mot français « mère », celui-ci serait écrit « MR », cest-à-dire quon ny trouverait pas de voyelle et que le lecteur devrait choisir entre différentes formes phonétiques, sémantiquement proches Cet écart est encore plus frappant si lon aborde lécriture chinoise où il est impossible de comprendre le sens dun document lu à haute voix sans consulter le texte écrit, en raison dun nombre très important dhomophonies (cest un peu comme si lon se trouvait en face de lénoncé suivant « la république », obligé de consulter le texte écrit pour savoir sil faut comprendre « lart est public », « larrêt public » « la raie publique », etc.). Pour un Chinois, lécriture nest sûrement pas la reproduction de la chaîne parlée, elle ne lest que très partiellement dans lécriture alphabétique. On peut donc dire que le passage de loral à lécrit équivaut à une véritable traduction. Et comme dans toute traduction, il y a à la fois déperdition et transmutation. Lécriture donne corps aux silences et aux sons, figures à la pensée. Mais par lopération alchimique de la lecture, elle se réenracine dans la parole, redonnant vie et souffle au texte mystérieusement pétrifié, lui rendant les couleurs de la voix. |
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Ecrire, effacerVerba volant, scripta manent, dit le proverbe. Pourtant, si la parole vole , elle ne se reprend pas : « ce qui est dit, est dit ». Une fois lâchées, les paroles se répandent partout, aussi difficiles à rattraper que les plumes dun oiseau. Lécriture au contraire, lusage de la gomme en fait foi, est toujours susceptible de ratures. Parce quelle confie à un support extérieur le contenu de ses messages, elle peut à tout moment être manipulée, corrigée, oblitérée, censurée ou perdue. Les brouillons de certains écrivains en disent long sur cette possibilité de repentir inhérente à lécriture. Mémoire virtuellement illimitée, lécriture est pourtant fragile ; elle a la fragilité du support qui la conserve. Si le document saltère, le message devient illisible. Perte physique du document ou du texte, perte du sens quand le code est perdu, mais aussi perte de la mélodie, des intonations et des sonorités qui en constituaient la « musique ». Que savons nous aujourdhui de la manière dont les Grecs prononçaient les textes ?
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1. Fixer la parole 2. Signes discrets, signes muets 3. Perec : naissance d'un texte 4. Le signe et le son |