
Masque Kanaga, évocation d'Amma
Dogon, Mali,
Musée de l'Homme |
Pour les Dogons des falaises nigériennes de
Bandiagara, avant le commencement des choses apparaît
Amma. Le mythe de la création est lié à celui
de la révélation de la parole aux hommes.
Amma, dieu créateur, omnipotent et immatériel, lance
le système planétaire, boulettes de terre transformées
en étoiles que les femmes, par la suite, cueilleront au ciel pour
les remettre à leurs enfants. Ceux-ci les transperceront d'un fuseau
et feront tourner jusqu'à lassitude ces toupies lumineuses.
Amma fait le soleil-femelle, la lune-mâle, et la terre, boudin
de glaise qu'il a serré dans sa main et qui, dans l'espace, s'étale,
gagne au Nord, s'allonge au Sud, s'étend à l'Orient et à
l'Occident, étire sa chair, sépare ses membres, comme le ferait
un ftus dans la matrice. La terre devient une femme, à plat
dos, orientée Nord-Sud.
Amma, le Dieu créateur, "père" des créatures,
veut s'unir à la terre-mère, figurée par l'uf
du monde composé d'un double placenta, pour engendrer des êtres
destinés à promouvoir sa création. Fécondés
par la parole d'Amma, les premiers êtres sont créés.
Deux jumeaux androgynes, dont l'un fait figure de révolté par
rapport à l'autorité paternelle et l'autre de "sauveur". Mis
à mort puis ressuscité, ce sauveur, Nommo, réorganise
par son propre sacrifice le monde perturbé par les agissements de
son frère-ennemi Yorougou, le renard. Yorougou
apparaît le premier dans le monde, sortant du placenta originel sans
l'autorisation de son père Amma, emportant avec lui dans
l'obscurité primordiale un morceau de placenta qui sera notre terre,
et sur lequel figurent les symboles graphiques, c'est-à-dire des "paroles
en puissance2". Amma ne peut lui reprendre cette parole "volée",
encore muette. Les traces de pattes des renards en sont les signes visibles,
et leur langage muet exige une interprétation, une traduction en paroles
humaines par la divination.
Nommo descend enfin sur la terre avec une arche qui porte les premiers
hommes, ainsi que tous les animaux et plantes destinés à peupler
l'univers. L'arche est le placenta, et la " chaîne de descente " le
cordon ombilical : si la parole du père est celle qui féconde,
celle de la mère est celle qui conçoit ; c'est celle qui fait
sortir du sol la végétation.
Pour créer le monde, Amma a mis dans chaque chose une parcelle
de sa force. Dans le corps d'Amma étaient les signes, le placenta
contient le monde ; le placenta est la terre cultivée, qui produit
la vie de l'homme ; la forme parfaite du placenta est l'uf, image de
la plénitude fermée sur elle-même ; elle peut se
représenter sous la forme d'un tableau oblong couvert de signes, dit
" ventre de tous les signes du monde ", dont le centre est l'ombilic et qui
forme au total les deux cent soixante-six " signes d'Amma ". Enfin, " les
signes complets du monde donnent à tout la couleur, la forme, la
matière ". La parole de la terre, " informulée ", se trouvait
sous forme de symboles graphiques dans le placenta. Ceux-ci permettent de
comprendre la création, car " on connaît la racine, le principe,
l'essence, des choses à leur forme, à leur matière,
à leur couleur ".
Cela revient à dire que les signes, manifestations de la pensée
créatrice, ont existé avant les choses et qu'ils les ont
déterminées. Le mécanisme de la création par
le graphisme comprend des signes " fixes " qui donnent vie aux signes " mobiles
", lesquels font venir les choses à l'existence. Dessiner, c'est faire
commencer à être, et par là même marquer le premier
pas vers la destruction. Le signe est un moyen efficace pour agir sur l'avenir
: l'exécution de graphies promeut l'existence de la chose
représentée, la réédite en la faisant passer
par les étapes successives de sa formation. La matière
utilisée pour former ces graphies a une valeur en elle-même,
jusque dans la couleur qu'elle implique.
Amma maintient l'ensemble, il a tracé lui-même le plan
du monde et de son extension, il a dessiné l'univers avant de le
créer. Le dessin témoigne de la genèse de la chose qu'il
représente : il la réalise, la conduit à sa fin. On
dit : " Le signe que l'on écrit, c'est le bon à venir. " |