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Sans être universelle, la notation musicale est
présente dès les origines de l'écriture. Attestée
dès le XVIe siècle avant J.-C. sur une tablette
babylonienne, elle semble née de l'écriture même, à
laquelle elle emprunte pour la désignation des
notes lettres alphabétiques et
accents grammaticaux. |

Évangiles grecs, XIIe siècle
(extrait avec notation ekphonétique en rouge)
BnF, Manuscrits., grec. |
Plus proche de nous, apparue en Grèce au
VIe siècle avant J.-C., une notation musicale fait usage de l'ordre
alphabétique pour désigner la succession des notes selon leur
hauteur. L'Occident chrétien reprend ce procédé au
IXe siècle, mais seules les sept premières lettres de
l'alphabet sont utilisées, répétées ensuite dans
une graphie différente selon l'octave. Même la
notation ekphonétique en usage
au Moyen Âge à Byzance, véritable projection graphique
des mouvements de la voix chantée, va chercher ses origines dans
l'écriture du langage parlé. Elle permet, par un système
de signes posés au-dessus du texte à chanter, d'indiquer si
la voix monte ou descend. |
L'homme occidental, lui, a senti tardivement la
nécessité de noter la musique qui servait à son culte
et à ses divertissements. Mais la notation de la voix chantée
sous forme de neumes qu'il invente au
IXe siècle présente des points communs avec sa grande
sur orientale. En effet, tout comme la notation
ekphonétique, les neumes sont
écrits d'un mouvement de plume qui suit le mouvement de la voix.
Le Moyen Âge se préoccupe peu de noter
la musique instrumentale sous une forme particulière : il connaît
le concert instrumental, mais les instruments jouent ce qui n'est presque
toujours qu'une fidèle transcription de la musique vocale. Il faut
attendre le XVe siècle pour que l'instrument échappe
à l'accompagnement et s'empare du rôle soliste. À cette
nouvelle autonomie correspond la naissance et l'essor, trois siècles
durant, d'une notation originale propre à l'instrument à cordes
pincées (luth, guitare, cistre, etc.) : la
tablature.

Recueil de tablatures de luth du XVe siècle
Paris, BnF, Musique |

Tropaire de Saint-Martial de Limoges,
XIe siècle, neumes aquitains
BnF, Manuscrits., latin. |
L'écriture neumatique, de son
côté, ne cesse d'évoluer depuis le IXe siècle
: au XIe siècle apparaît la
portée, système de lignes
et d'interlignes où les notes prennent place, de façon à
figurer précisément leur hauteur. Au XIIe siècle,
l'usage de la plume d'oie, qui remplace le roseau taillé, transforme
le punctum des neumes en un carré noir. Cette notation
carrée, avec la portée munie de ses clefs, se retrouve dans
ses principes jusqu'à aujourd'hui. |

Chansonnier cordiforme,
(extrait avec notation ronde)
Savoie, XVe siècle
BnF, Manuscrits., div. occ. |
À la faveur du remplacement du parchemin par
le papier, le XVe siècle voit les notes noires et compactes,
dont l'encre traverse trop facilement la feuille, s'évider pour devenir
de blancs losanges. Le XVIe siècle enfin, sous l'influence
de l'imprimerie, favorise la diffusion de la
notation ronde que nous connaissons.
Le système sur lequel nous vivons encore pour l'essentiel s'est
figé entre 1650 et 1750. Il est suffisamment précis pour
noter la polyphonie vocale ou instrumentale, mais il se soucie peu de fournir
des indications sur les nuances, le tempo, la dynamique ou le phrasé.
Face à des partitions vieilles de trois siècles, le lecteur
contemporain est alors confronté à une liberté dont
il ne sait parfois trop que faire. |

Ecriture classique de W.-A. Mozart, Fugue en ut majeur pour pianoforte,
K 394 (extrait)
Ms autographe, Vienne, avril 1782.
BnF, Musique, ms. 224, fol. 1. |
Parvenue au XIXe siècle, c'est dans sa
fonction même que la notation évolue : parallèlement
à la transformation du statut social du compositeur, qui voit
l'émergence et la reconnaissance de la propriété artistique,
l'écriture devient le moyen de communiquer une
composition personnelle qui doit être
reproduite sans altération. Le nombre des signes destinés à
l'interprète augmentent alors sensiblement : la partition devient
un objet fini en soi et elle se veut désormais plus que trace ou
aide-mémoire : un moyen de reproduction fidèle à son
auteur. |
Un changement d'attitude intervient au milieu du
XXe siècle : faut-il invoquer l'usure du système
traditionnel, l'extension considérable du matériau sonore ?
Certes, mais surtout, les bouleversements auxquels a conduit l'électronique
: désormais les rapports de l'homme à l'écrit musical
sont différents puisque la musique peut être engendrée,
produite et reproduite sans le support de l'écriture. Mais on a pu
voir le compositeur renoncer, quand ils ne lui semblaient pas nécessaires,
aux cinq lignes et aux signes usuels. Pour répondre à ses besoins
spécifiques, il crée des signes qui s'apparentent souvent à
un langage personnel et abandonne jusqu'à la notation traditionnelle
au profit de partitions graphiques où
il sollicite toutes les ressources créatives de l'interprète. |

Partition graphique de R. Haubenstock-Ramati,
Concerto a tre, 1973 |
Puis-je m'en tenir à l'éventuel, ou dois-je inclure le
prévu ?
Jusqu'à quel point vais-je égarer le déchiffreur de
songes ?
Me faut-il donner les clefs de la compréhension ?
ou puis-je me murer solidement dans ma forteresse imaginaire ?
" Qu'il est facile d'écrire, qu'il est difficile de composer.
"
(Pierre Boulez, " Périforme " in Points de repère. Tome
1 : Imaginer)
D'où vient le nom des
notes ?
Les syllabes de la solmisation solfégique
ut, ré, mi, fa, sol, la ont
été mises en place au XIe siècle par le moine
Gui d'Arezzo. Elles correspondent aux débuts d'hémistiche
des trois premiers vers d'une hymne à saint Jean-Baptiste écrite
au XIe siècle par Paul Diacre :
UT queant laxis REsonare fibris
MIra gestorum FAmuli tuorum
SOLve polluti LAbii reatum
Sancte Iohannes
Au XVIIe siècle, la syllabe
ut, jugée peu euphonique, s'est
vu substituer la syllabe do que l'on
utilise encore aujourd'hui.
C'est seulement au XVIIIe siècle que les deux
lettres acrostiches du dernier vers de l'hymne de Paul Diacre, « Sancte
Iohannes », ont servi à former la syllabe
si pour désigner la septième
note de la gamme. |
(extrait du catalogue de l'exposition "L'aventure des
écritures : naissances")
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