"Prospectus" d'octobre 1750, rédigé par Diderot.

[...] Combien donc n'importait-il pas d'avoir en ce genre un livre qu'on pût consulter sur toutes les matières, et qui servît autant à guider ceux qui se sentiraient le courage de travailler à l'instruction des autres, qu'à éclairer ceux qui ne s'instruisent que pour eux-mêmes.[...]

En réduisant sous la forme de dictionnaire tout ce qui concerne les sciences et les arts, il s'agissait encore de faire sentir les secours mutuels qu'ils se prêtent ; d'user de ces secours pour en rendre les principes plus sûrs et leurs conséquences plus claires, d'indiquer les liaisons éloignées ou prochaines des êtres qui composent la nature, et qui ont occupé les hommes ; de montrer par l'entrelacement des racines et par celui des branches, l'impossibilité de bien connaître quelques parties de ce tout, sans remonter ou descendre à beaucoup d'autres ; de former un tableau général des efforts de l'esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles ; de présenter ces objets avec clarté ; de donner à chacun d'eux l'étendue convenable ; et de vérifier, s'il était possible, notre épigraphe par notre succès ;

Tantum series juncturaque pollet,
Tantum de medio sumptis
accedit honoris !
Horat., De arte poet., v. 249

Jusqu'ici personne n'avait conçu un ouvrage aussi grand ; ou du moins personne ne l'avait exécuté.[...]

Nous avons senti, avec l'auteur anglais, que le premier pas que nous avions à faire vers l'exécution raisonnée et bien entendue d'une encyclopédie, c'était de former un arbre généalogique de toutes les sciences et de tous les arts, qui marquât l'origine de chaque branche de nos connaissances, les liaisons qu'elles ont entre elles et avec la tige commune, et qui nous servît à rappeler les différents articles à leurs chefs. Ce n'était pas une chose facile. Il s'agissait de renfermer en une page le canevas d'un ouvrage qui ne se peut exécuter qu'en plusieurs volumes in-folio, et qui doit contenir un jour toutes les connaissances des hommes.[...]

On trouvera à la fin de ce projet cet arbre de la connaissance humaine, avec l'enchaînement des idées qui nous ont dirigés dans cette vaste opération. Si nous en sommes sortis avec succès, nous en aurons principalement obligation au chancelier Bacon, qui jetait le plan d'un dictionnaire universel des sciences et des arts, en un temps où il n'y avait, pour ainsi dire, ni sciences ni arts. Ce génie extraordinaire, dans l'impossibilité de faire l'histoire de ce qu'on savait, faisait celle de ce qu'il fallait apprendre.

Prospectus,
octobre 1750