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Classé d'emblée parmi les auteurs modernes,
Queneau n'en reste pas moins un écrivain insaisissable. Ayant
traversé le surréalisme, la littérature engagée
et le Nouveau Roman sans jamais s'être plié à une seule
de ces modes, il a imposé un style original qui allie fantaisie malicieuse
et poésie.
Après avoir obtenu son bac, il quitte sa ville
natale du Havre pour entreprendre une licence de philosophie à
Paris où, très vite, il est initié à la
poésie par le groupe surréaliste auquel il se joint
en 1924. Mais loin de retenir une quelconque influence de cette expérience
de cinq ans (il rompra avec André Breton en 1929), il en tire
la conviction que ce n'est pas dans cette voie qu'il juge artificielle qu'il
convient de chercher; on retrouve cependant chez lui le goût des
Surréalistes pour l'inventivité verbale et les jeux de mots.
En 1933, la parution de son premier roman, le
Chiendent, marque l'entrée en littérature
de Queneau. Dès lors, la vie de l'homme s'efface derrière
l'oeuvre, diversifiée et parfois énigmatique, mais toujours
marquée par la fascination pour le langage et ses mystères.
Le succès de Zazie dans le métroen 1959, consacre
l'originalité du style, à la fois corrosif et inventif,
mêlant avec vivacité la caricature, les trouvailles
phonétiques et la satire malicieuse.
La curiosité de Queneau s'étend
à tous les domaines de la science, notamment aux mathématiques.
C'est d'ailleurs avec un mathématicien, son ami François
Le Lionnais, qu'il fonde l'Ouvroir de Littérature Potentielle
en 1960; ce groupe se propose de créer de nouvelles structures
poétiques et romanesques. Mais plus qu'un simple club littéraire,
l'Oulipo veut dépasser la conception traditionnelle de la
littérature pour lui reconnaître une vocation à créer
de nouveaux langages.
À l'instar des mathématiques, la langue
est à chaque instant pour Queneau un objet d'expérience,
un champ d'application, un territoire illimité d'exploration. Curieux
de tout, Queneau s'intéresse à tout; cette disposition
encyclopédique combine chez lui deux penchants complémentaires
: le goût pour l'acquisition du savoir et l'intérêt pour
les méthodes de découverte.
En 1954, lorsque son ami Gaston Gallimard lui
propose de diriger la Nouvelle Encyclopédie de La Pléiade,
il relève le défi éditorial. Peu à peu pris au
jeu, l'écrivain va s'investir dans cette entreprise. Sans pour autant
révolutionner l'univers encyclopédique, il rejette l'utopie
d'une maîtrise totale des connaissances. Il se tourne vers une forme
plus synthétique qui laisse la place à la notion d'erreur et
de doute. Loin de s'affliger des inévitables incertitudes de l'homme,
il se réjouit au contraire de la possibilité d'invention et
de création qu'elles engendrent. S'il ne croit plus à la « Science des sciences », sceptique par rapport à
l'utilité même du savoir, il garde confiance en la capacité
de l'homme à rêver.
Queneau, pessimiste actif? Il n'empêche
que derrière l'humoriste, le sceptique ou encore le malicieux
mystificateur se cache un homme passionné par le savoir
encyclopédique, qui ne cesse de poser cette question : « quelle
satisfaction peut-on bien éprouver à ne pas comprendre quelque
chose? ». |