Déviances sociales et morales
 

Aux différences physiques, céphaliques ou podologiques, les plus nombreuses s'ajoutent des particularités d'ordre culturel ou social.
   

 


 Peuple ignorant le feu

 

Déviances


Sur la mappemonde est indiqué un "peuple qui ignore le feu" dont le représentant semble se détourner de deux brasiers allumés à ses côtés. Plus loin, les Psylles résistent au venin des serpents :

Les Psylles ont habité en ce lieu. C'est un peuple d'une nature incroyable, immunisé contre le venin des serpents. Seuls en effet parmi les humains ils ne succombent pas à leur morsure. Dès leur naissance, les enfants leur sont présentés. S'ils sont dégénérés ou ont été conçus dans l'adultère, aussitôt le crime de leur mère est dévoilé par leur mort. Si par contre ils sont de bonne nature, ils ne sont pas blessés par les serpents.


 Psylles

 Troglodytes
  Vivant dans des cavernes, les Troglodytes sont souvent ophiophages (mangeurs de serpents) et "jouissent d'une telle rapidité qu'ils battent à la course les bêtes sauvages". Ils chevauchent un grand cervidé maîtrisé, tandis qu'un peu plus loin ils se terrent, recroquevillés, dans des grottes, avec pour voisins les Anthropophages, "peuple qui se nourrit de la chair humaine".
   

 


 Hippopodes

Cruauté


À ces monstruosités méridionales font écho au Septentrion, dans un ordre moins rigoureux, la "sauvagerie" et la "cruauté" des peuples scythiques. Inlassablement ressassée à la suite de Pline et Solin, leur barbarie est traduite visuellement sur les mappemondes. Là, d'est en ouest, s'égaille, dans ce domaine du froid inexorable, une suite de peuples aux disgrâces physiques évidentes : les Hippopodes dont les pieds sont munis de sabots de chevaux ; les Panoti aux si grandes oreilles ; les Albains aux cheveux blancs et dont la pupille glauque voit mieux la nuit que le jour.

 


 Amazones

Brutalité et méchanceté


Mais plus que les désavantages physiques, ce sont les déviances sociales et morales qui sont ici mises en avant. Sur ce versant nord du monde s'étalent déchirements, griffes et sang. Les mappemondes n'en finissent pas de désigner ces peuples funestes, comme les Hyrcaniens farouches qui menacent l'ordre du monde. Il n'est ici que fureur, brutalité et méchanceté. Brutalité des hommes en butte à un milieu hostile. Impétuosité des femmes vivant dans ces parages : les Amazones qui se battent comme des hommes.

 


 Massagètes


 Scène d'anthropophagie


 Gog et Magog

Anthropophagie


Cette violence collective atteint son paroxysme dans l'anthropophagie. Pourvus d'une queue, doués d'une extrême vélocité, les Hippopodes, hommes aux sabots de chevaux, vivent de chair et de sang humains. Pour éviter à leurs parents les affres de la vieillesse, les Massagètes préfèrent les tuer et les mangent plutôt que de les laisser aux vers. Sur la mappemonde, au-dessus de la légende rapportant l'étrange coutume funéraire attribuée ici aux Massagètes, une scène sans commentaire montre un personnage dévoré par des chiens. Est-ce une allusion aux Hyrcaniens qui, selon saint Jérôme dont s'inspire visiblement la légende précédente, "jettent [les vieillards] quand ils sont encore à moitié vivants aux oiseaux et aux chiens" ? En dessous, deux hommes se disputent un troisième qu'ils s'apprêtent à dépecer et à manger.

Enfin, comble de l'horreur, sous le Septentrion où règne un froid insupportable, des peuples maudits, enfermés autrefois par Alexandre, souvent assimilés aux peuples de Gog et Magog, vassaux de l'Antéchrist, se livrent à un festin funeste. Dans une Cène inversée, ils scellent la menace qu'ils font peser sur l'humanité :

Ici Alexandre enferma les peuples impurs de Gog et Magog qui seront les vassaux de l'Antéchrist. Ils se nourrissent de chair et boivent le sang humain.

Si la légende de la mappemonde peut sembler laconique, en revanche l'image en dit long : isolés du reste du genre humain, deux petits personnages dévorent les pieds et les mains d'un troisième affreusement mutilé. Cette horreur fantasmatique rôde aux lisières désertes du monde comme aux frontières refoulées de la conscience, sans cesse réactivée.