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La source unique des
eaux douces et salées
Dans la conception biblique du monde, l'ensemble des
eaux qui entourent et irriguent la terre puisent à une source unique :
le grand abysse. Les philosophes naturalistes du XIIe
siècle, tel Guillaume
de Conches, appellent cette source le "véritable Océan",
la Vraie Mer, la "Mer véritable", le "grand Océan", la "Méditerranée",
la "Mer du milieu des terres".
Cette grande mer coule dans la zone équinoxiale.
Elle se sépare à l'est et à l'ouest en deux flux
nord et sud qui forment ainsi selon la théorie élaborée
dans l'Antiquité par Cratès de Mallos un deuxième
anneau océanique partageant la Terre en quatre petites îles
dont la terre habitée, la nôtre, l'cumène des
Grecs, ne représente que le quart de l'espace émergé.
La Sagesse divine, sachant que rien ne pouvait
vivre sans chaleur et sans humidité, a placé ce lieu unique
au milieu de la zone torride, sous la source de toute chaleur, au milieu
du cercle équinoxial qui entoure la Terre. Ce que certains mettent
en doute, puisqu'en raison de la chaleur nul n'a pu y parvenir. Ces eaux
sont rassemblées là depuis le commencement du monde, quand,
au troisième jour, Dieu ordonna que les eaux qui sont sous le ciel
s'amassent en une seule masse et qu'apparaisse le continent et il en fut
ainsi. Dieu appela le continent "terre" et la masse des eaux "mers" et
Dieu vit que cela était bon.
Guillaume de
Conches (Gen., I, 9-10)
De ce réservoir immense viennent toutes les
eaux, coulent toutes les sources et tous les fleuves. D'une façon
ou d'une autre, lui sont reliées toutes les autres mers qui prennent
le nom des terres qu'elles bordent.
Mais alors, si toutes les eaux proviennent d'une seule et unique source,
comment expliquer que les unes soient "douces", et les autres "salées" ?
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De la saveur de l'eau
Pour nombre de philosophes naturalistes, depuis le
XIIe siècle, l'eau proprement dite "n'a
ni couleur, ni goût, ni odeur". Cette amertume qui donne son nom
à la mer viendrait d'un accident extérieur, en l'occurrence
la chaleur du soleil et des planètes. Comme l'explique Adélard
de Bath dans les Quaestiones naturales, une explication reprise
plus tard par Vincent
de Beauvais au XIIIe siècle :
"Puisque l'Océan véritable traverse la zone torride à
travers laquelle passe la trajectoire circulaire des planètes,
la mer en vient à être réchauffée par la chaleur
dégagée par les étoiles, et reçoit sa salinité
de l'effet de cette chaleur."
Que l'eau tienne sa salinité de la chaleur du soleil, et partant
d'un phénomène de coction, c'est l'opinion la plus répandue.
Rares sont ceux qui, avec Alexandre Neckham, veulent y voir l'effet de
la dissolution de grandes montagnes de sel sous-marines, ou bien encore,
tel Michel Scot, la conséquence de l'antériorité
des eaux de la mer sur les eaux terrestres.
L'absence de saveur initiale des eaux et la cause de leur salinité
une fois admises, comment expliquer que certaines eaux demeurent douces,
alors qu'elles sont toutes issues d'un même principe ? La réponse
est simple et la même pour tous : sortant de la mer, l'eau,
en raison de sa fluidité, pénètre à l'intérieur
de la Terre, par des canaux secrets que Guillaume de Conches appelle des
"cataractes". Ces canaux sont à la Terre ce que les veines sont
au corps humain : à travers eux, l'eau est filtrée,
édulcorée, perd son amertume et retrouve sa sapidité
première. À moins que des saveurs nouvelles ne soient empruntées
à la terre que l'eau traverse. Ainsi "elle prend une saveur douce
quand elle traverse une terre riche en sable ou en pierre, mauvaise quand
elle traverse une terre boueuse, amère quand elle traverse une
terre riche en soufre, en chaux ou en cuivre". "Que de la mer aux ondes
salées, écrit Gervais
de Tilbury, viennent jaillir sur la terre des sources dont les eaux
sont tout à fait douces, de la mer aux eaux chaudes, des sources
très froides, c'est là une chose qui est due à la
vertu bienfaisante de la terre qui rend douce une eau qu'elle a abondamment
filtrée et qui, par sa froideur, chasse la température élevée
qui provient de la mer".
Ce même rôle de filtre est aussi joué par les énormes
masses d'air qui transforment en pluie douce les brumes issues de l'eau
de mer.
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De la couleur des eaux
Insipide par nature, l'eau possède également
une couleur indéfinissable. Dans les Étymologies,
Isidore
de Séville met sur le compte des vents la couleur changeante
de la mer, tantôt jaune, tirant sur le rouge, tantôt claire,
brillante, tantôt sombre, noire. En fait, l'eau est incolore :
L'eau quand on la regarde de loin, semble verte.
Quand elle tombe en chute, elle apparaît plutôt blanche. C'est
qu'en réalité, elle est incolore. [...] Si elle était
colorée, elle devrait n'avoir qu'une seule couleur, mais puisqu'elle
semble en avoir plusieurs, ces couleurs ne sont pas les siennes, mais
celles des choses qui lui sont associées.
Chacun sait, par exemple, que la mer Rouge tire sa couleur des rivages
voisins dont on extrait le minium. Pour Barthélemy
l'Anglais :
Elle est appelée la mer Rouge parce qu'elle
est colorée par des flots de teinte rouge ; cependant elle
ne possède point la nature qu'elle semble montrer, mais la couleur
de ses ondes est altérée par la nature des rivages qui en
sont voisins, et qui lui donnent cette teinte, parce que toute la terre
qui l'entoure est rouge et présente une couleur qui est proche
et voisine de celle du sang. C'est en effet de cette contrée que
l'on extrait le vermillon le plus ardent et les autres couleurs qui donnent
leur éclat à la peinture. Ainsi, parce que la terre possède
une semblable nature, lorsque les flots désagrègent le rivage,
les ondes de la mer prennent une couleur rouge.
Cette mer est toujours représentée en rouge sur les mappemondes
bien qu'au XIVe siècle, l'auteur de l'Atlas
catalan insiste : "Cette mer est appelée mer Rouge. [...]
Sachez que l'eau n'y est pas rouge, mais c'est le fond qui est de cette
couleur."
Quant aux autres mers, elles sont le plus souvent peintes en vert pour
les distinguer des fleuves et des rivières représentés
en bleu.
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