Égypte est une moult grande région
et est situee devers midy et est divisée en deux parties : une
partie est Egypte la haulte, l'autre partie est Egypte la Basse. Et de
ceste region-cy veuil-je parler."
La fertilité légendaire que le pays doit aux crues du Nil
est exprimé par le vert de la végétation. Mais l'accent
est mis sur le fleuve. Le Nil ou Gyon ou Géon est une fleuve aux
eaux troubles comme le rappelle Jean de Mandeville :
en langue éthiopienne, Gyon signifie "trouble"
et, en langue égyptienne Nil signifie aussi "trouble" (ch. 33)
Des eaux troubles que seule la blanche licorne qui vient s'y abreuver,
peut purifier. Un fleuve confondu dans le texte, comme par Brunetto Latini,
avec le Tigre, où se baignent l'un des deux "perilleux monstres...
qui sont moult crains et doubtez des habitans du pais", à savoir
le "cocodrille".
L'animal est figuré suivant la description qu'en donnent les Bestiaires
: muni de quatre pieds qui terminent de courtes pattes, de couleur jaune,
il mesure plus de 20 pieds de long. Il est armé de dents et de
griffes redoutables et son cuir est si dur qu'il ne ressent aucun choc
causé par un jet de pierres. Dépourvu de langue, il est
le seul animal au monde à pouvoir bouger de façon indépendante
sa machoire supérieure. Jean de Mandeville autant que Brunetto
Latini précisent "qu'il tue les gens et les mange en pleurant."
Si l'autre monstre "périlleux" cité par la légende,
l'hippotaure ou Yppotame, le "cheval du fleuve" également originaire
du Nil, de même que le Catoblepas un petit animal à
grosse tête si pesante qu'il ne peut la tenir levée, mais
au regard plus perçant encore que celui du basilic, qui tue quiconque
le regarde sont absents, d'autres animaux hantent ses rivages.
On y voit des oiseaux en nombre ainsi que des échassiers, sans
doutes les ibices, ces oiseaux du Nil semblables à la cigogne
qui se nourissent de petits poissons, d'œufs de serpents et d'autres bêtes
venimeuses. Quant, repus de "males viandes", ils souffrent "de maladie
ou troublement de ventre" ils vont se purger avec de l'eau de mer qu'ils
s'administrent eux-mêmes. Au point que selon certains "Ypocras li
granz fysiciens fist premiers la clistere par l'example de cel oiseaul."
(Brunetto Latini, I, 160).
Parmi les autres animaux sauvages et les serpents qui fréquentent
les rives du fleuve, si certains sont aisément identifiables comme
le lion, le léopard ou le dragon, d'autres demeurent plus énigmatiques.
Ces monstres hybrides dont l'un pourvu d'un corps de lion, muni de cornes
de cerfs pourrait passer l'un pour un parandre, que Brunetto Latini décrit
comme un animal d'Éthiopie, de la taille du bœuf, muni de cornes
de cerf, de la couleur de l'ours, à moins que sa tête quasi
humaine ne le rapproche de la mantichore ; l'autre, pourrait être
une Lucrote ou crocote, ou encore Leucocrote, un animal que Brunetto Latini
toujours, décrit : grand comme un âne muni d'une croupe de
cerf, d'une tête de cheval, de jambes de lion, la bouche fendue
jusqu'aux oreilles. Quant au petit animal qui fait face au lion, ses deux
cornes rappellent celles de l'éale qu'il utilise alternativement
dans les combats.Autant d'éléments qui tirent l'Égypte
vers la sauvagerie. Seuls, à l'arrière plan, au-delà
des rochers, le château, la ville et, dans le lointain, le bateau
rappellent la présence humaine. Le texte précise que :
au plus hault de celle tour a une moult grand
clarté de nuyt. Et y vient celle clarté toutes les nuyts
et donne grant clarté tout entour mais on ne seet dont elle vient.
Et voyt-on celle clarté de moult loing tant en terre comme en mer.
Et de nuyt advient souvent que par celle clarté les mariniers qui
sont esgarés en la mer s'adressent et arrivent à bon port.