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Égypte

Le Livre des merveilles du monde ou Les Secrets de l'Histoire naturelle. Cognac, Robinet Testard, vers 1480-1485. Manuscrit sur parchemin (95 ff., 30,5 x 21 cm).
BNF, Manuscrits (Fr. 22971 f° 15v°)
Égypte est une moult grande région et est situee devers midy et est divisée en deux parties : une partie est Egypte la haulte, l'autre partie est Egypte la Basse. Et de ceste region-cy veuil-je parler." La fertilité légendaire que le pays doit aux crues du Nil est exprimé par le vert de la végétation. Mais l'accent est mis sur le fleuve. Le Nil ou Gyon ou Géon est une fleuve aux eaux troubles comme le rappelle Jean de Mandeville :
en langue éthiopienne, Gyon signifie "trouble" et, en langue égyptienne Nil signifie aussi "trouble" (ch. 33)

Des eaux troubles que seule la blanche licorne qui vient s'y abreuver, peut purifier. Un fleuve confondu dans le texte, comme par Brunetto Latini, avec le Tigre, où se baignent l'un des deux "perilleux monstres... qui sont moult crains et doubtez des habitans du pais", à savoir le "cocodrille".
L'animal est figuré suivant la description qu'en donnent les Bestiaires : muni de quatre pieds qui terminent de courtes pattes, de couleur jaune, il mesure plus de 20 pieds de long. Il est armé de dents et de griffes redoutables et son cuir est si dur qu'il ne ressent aucun choc causé par un jet de pierres. Dépourvu de langue, il est le seul animal au monde à pouvoir bouger de façon indépendante sa machoire supérieure. Jean de Mandeville autant que Brunetto Latini précisent "qu'il tue les gens et les mange en pleurant."
Si l'autre monstre "périlleux" cité par la légende, l'hippotaure ou Yppotame, le "cheval du fleuve" également originaire du Nil, de même que le Catoblepas – un petit animal à grosse tête si pesante qu'il ne peut la tenir levée, mais au regard plus perçant encore que celui du basilic, qui tue quiconque le regarde – sont absents, d'autres animaux hantent ses rivages.
On y voit des oiseaux en nombre ainsi que des échassiers, sans doutes les ibices, ces oiseaux du Nil semblables à la cigogne qui se nourissent de petits poissons, d'œufs de serpents et d'autres bêtes venimeuses. Quant, repus de "males viandes", ils souffrent "de maladie ou troublement de ventre" ils vont se purger avec de l'eau de mer qu'ils s'administrent eux-mêmes. Au point que selon certains "Ypocras li granz fysiciens fist premiers la clistere par l'example de cel oiseaul." (Brunetto Latini, I, 160).

Parmi les autres animaux sauvages et les serpents qui fréquentent les rives du fleuve, si certains sont aisément identifiables comme le lion, le léopard ou le dragon, d'autres demeurent plus énigmatiques. Ces monstres hybrides dont l'un pourvu d'un corps de lion, muni de cornes de cerfs pourrait passer l'un pour un parandre, que Brunetto Latini décrit comme un animal d'Éthiopie, de la taille du bœuf, muni de cornes de cerf, de la couleur de l'ours, à moins que sa tête quasi humaine ne le rapproche de la mantichore ; l'autre, pourrait être une Lucrote ou crocote, ou encore Leucocrote, un animal que Brunetto Latini toujours, décrit : grand comme un âne muni d'une croupe de cerf, d'une tête de cheval, de jambes de lion, la bouche fendue jusqu'aux oreilles. Quant au petit animal qui fait face au lion, ses deux cornes rappellent celles de l'éale qu'il utilise alternativement dans les combats.Autant d'éléments qui tirent l'Égypte vers la sauvagerie. Seuls, à l'arrière plan, au-delà des rochers, le château, la ville et, dans le lointain, le bateau rappellent la présence humaine. Le texte précise que :

au plus hault de celle tour a une moult grand clarté de nuyt. Et y vient celle clarté toutes les nuyts et donne grant clarté tout entour mais on ne seet dont elle vient. Et voyt-on celle clarté de moult loing tant en terre comme en mer. Et de nuyt advient souvent que par celle clarté les mariniers qui sont esgarés en la mer s'adressent et arrivent à bon port.