Une lecture ordonnée du monde

 

La mappemonde propose, à qui la regarde avec attention, une lecture ordonnée du monde, du centre vers la périphérie : de la perfection originelle à la dégradation physique et morale.
Depuis Jérusalem considérée comme le centre physique du monde, où, selon les commentateurs, une colonne érigée à l'emplacement de la croix "d'une manière merveilleuse, lorsqu'au solstice d'été le soleil est au zénith à l'heure de midi, [...] ne projette aucune ombre. Trois jours après, une fois passé le solstice, le 24 juin, alors que le jour commence à diminuer, la colonne projette une ombre courte, qui va s'allongeant les jours suivants. Cette colonne, sur laquelle la clarté du soleil, en plein solstice d'été, quand il occupe à midi le centre du ciel faisant pleuvoir du zénith ses rayons, se concentre de toute part également, proclame que Jérusalem est située au centre de la Terre".
   


  Tombeau du Christ

Du centre, Jérusalem...


"Vainqueur de la mort" en son tombeau ouvert, le Christ ressuscité renvoie à la perfection humaine initiale. Perfection de l'homme, microcosme à la tête ronde comme le ciel : ses yeux sont comme les deux grands luminaires, la Lune et le Soleil ; sa poitrine rappelle l'air où s'agitent les vents et les tempêtes ; son ventre est comme la mer, la mer matricielle où convergent toutes les eaux ; ses pieds supportent, comme la terre, le poids des choses ; ses os partagent la dureté des pierres, ses ongles la croissance de la végétation, ses cheveux celle des plantes. L'homme, image du monde, en reproduit également le fonctionnement : ses humeurs croissent et décroissent avec les saisons, le sang chaud et humide augmente au printemps ; la bile rouge, chaude et sèche, en été ; la bile noire, froide et sèche, en automne ; le phlegme, froid et humide, en hiver. Petite enfance, enfance, adolescence, jeunesse, âge mûr et vieillesse : le déroulement de son âge se calque sur le cycle des six âges du monde. Petit monde, minor mundus, monde en réduction, l'homme reproduit à travers les quatre qualités du corps, jointes aux trois qualités de l'âme, l'équilibre septénaire de l'univers. Microcosme parfait créé par Dieu à Hébron, selon certains commentateurs, avant d'être transporté au Paradis terrestre. Il était alors beau comme Absalon, fort comme Samson, sage comme Salomon. Doté d'une perfection physique, il est le reflet d'un équilibre des humeurs autant que d'une perfection morale, loin de toute souffrance et toute concupiscence.


  Peuples aux marges
  méridionales du monde


 Anthropophages aux marges
 septentriona
les du monde

 

... aux marges du monde


La perfection originelle, réitérée dans le corps du Christ ressuscité, reste une perfection humaine, fragile, rompue dès l'origine par le péché. En même temps, sur la mappemonde, l'équilibre des humeurs et des saisons s'estompe au fur et à mesure que l'on s'éloigne du centre. Au nord, là où la morsure du froid se fait plus violente, le soleil plus rare, les populations naissent avec les cheveux blancs. La brûlure d'un soleil trop ardent explique la peau sombre des Maures de Maurétanie et des Éthiopiens. Il n'est jusqu'à l'intégrité physique qui ne se trouve atteinte, comme si, aux marges méridionales et septentrionales du monde, l'humanité se délitait, comme la terre qui la porte, jusqu'à disparaître. La désintégration physique s'accompagne d'une déliquescence sociale et morale. En même temps que l'humanité, s'estompe peu à peu l'organisation du monde, sa texture en provinces, en régions. Aux marges du monde s'étalent de vastes étendues incultes, désertiques, chaotiques. Plus de villes, plus de cités, au-delà du Caucase comme au-delà du fleuve Géon (Nil), mais des troupeaux d'hommes dont les mœurs vont à l'encontre de la civilité. Ces hommes sont "mauvais", "cruels", "féroces", la difformité physique n'étant souvent que le reflet d'une souillure morale, d'un péché.


 Tombeau de saint Thomas
 en Inde

Mais cette difformité n'est pas irrémédiable. Tous ceux qui en sont affligés n'en demeurent pas moins des hommes, issus d'Adam, du même protoplasme primitif, et peuvent, une fois touchés par la Parole et par la grâce, retrouver leur humanité pleine et entière par la conversion. Parfois dès ici-bas, comme en témoigne l'histoire de saint Christophe, d'origine cynocéphale, recouvrant par le baptême son aspect humain, ou plus tard, lors de l'avènement de la Jérusalem céleste, quand chaque âme aura retrouvé son corps devenu "sans laideur et sans difformité".

Cette première lecture, du centre pour atteindre la périphérie, fait du monde un vaste champ ouvert, ensemencé par la parole de Dieu divulguée par les apôtres, fertilisé par le sang des martyrs, dont les tombeaux – celui de saint Thomas, saint Barthélemy ou saint Maurice – portent témoignage.