anthologie
ecrire la ville

Le sportif au lit

Henri Michaux (1899-1984)

Au fond je suis un sportif, le sportif au lit. Comprenez-moi bien, à peine ai-je les yeux fermés que me voilà en action.
Ce que je réalise comme personne, c’est le plongeon. Je ne me souviens pas, même au cinéma, d’avoir vu un plongeon en fil à plomb comme j’en exécute. Ah, il n’y a aucune mollesse en moi dans ces moments.
Et les autres, s’il y a des compétiteurs, n’existent pas à côté de moi. Aussi n’est-ce pas sans sourire que j’assiste, quand exceptionnellement ça m’arrive, à des compétitions sportives. Ces petits défauts un peu partout dans l’exécution, qui ne frappent pas le vulgaire, appellent immédiatement l’attention du virtuose ; ce ne sont pas encore ces gaillards-là qui me battront. Ils n’atteignent pas à la vraie justesse.

Je puis difficilement expliquer la perfection de mes mouvements. Pour moi ils sont tellement naturels. Les trucs du métier ne me serviraient à rien, puisque je n’ai jamais appris à nager, ni à plonger. Je plonge comme le sang coule dans mes veines. Oh ! Glissement dans l’eau ! Oh ! l’admirable glissement, on hésite à remonter. Qui parmi vous comprendra jamais à quel point on peut y circuler comme chez soi ? Les véritables nageurs ne savent plus que l’eau mouille. Les horizons de la terre ferme les stupéfient. Ils retournent constamment au fond de l’eau.
   

Extraits de : Henri Michaux, "Le Sportif au lit",
dans La Nuit remue, Gallimard, 1935.