anthologie
ecrire la ville

Quai Ouest

Bernard-Marie Koltès
Bernard-Marie Koltès (1948-1989) est né dans une famille bourgeoise de Metz. Il mène une vie violente et révoltée, tout en s'initiant à la musique de Bach. Il réalise pour le Théâtre national de Strasbourg une dizaine de mises en scène. En 1970, il monte sa propre troupe. Son théâtre, en rupture avec la génération précédente, est une recherche permanente sur la communication entre les hommes. Décédé à 41 ans, il est l'un des dramaturges français les plus joués dans le monde.

Devant un mur d’obscurité. Bruit d’un moteur de voiture, au ralenti, au loin… J’entends des bruits, j’entends des chiens, c’est plein de chiens sauvages qui rampent dans les décombres… Peut-être qu’avec la lumière des phares on verrait, au moins, ce qui rampe par terre.
[…]
Autrefois il y avait des lampadaires, ici ; c’était un quartier bourgeois, ordinaire, animé, je m’en souviens très bien. Il y avait des parcs avec des arbres ; il y avait des voitures ; il y avait des cafés et des commerces, il y avait des vieux qui traversaient la rue, des enfants dans des poussettes ; les anciens entrepôts du port servaient de parkings et certains, de marchés couverts. C’était un quartier d’artisans et de retraités, un monde ordinaire, innocent. Il n’y a pas si longtemps.
[…]
C’est un mur, on ne peut plus avancer ; ce n’est même pas un mur, non, ce n’est rien du tout ; c’est peut-être une rue, peut-être une maison, peut-être bien le fleuve ou un terrain vague, un grand trou dégoûtant.
[…]
…les murs se lézarder, les vitres brisées n’ont pas été remplacées. Ce n’est pas le monde vivant, ici.
[…]
Regardez autour de vous, vous ne trouverez rien ; cherchez dans les coins, creusez par terre, fouillez dans les têtes ; il ne reste plus rien, même pas le moindre rêve, nulle part.

 

Extrait de : Bernard-Marie Koltès, Quai Ouest .
Éditions de minuit.