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Le chinois : une écriture idéophonographique

Inscription oraculaire
Inscription oraculaire

Photo (C) RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / image RMN-GP

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L’écriture chinoise est la seule au monde à avoir conservé la même structure à travers trente-cinq siècles d’histoire. Chaque caractère correspond à une syllabe, mais a aussi un aspect graphique.

Une même structure en trente-cinq siècles

Écriture chinoise
Écriture chinoise |

© Bibliothèque nationale de France

L’écriture chinoise est connue sous sa forme archaïque par des inscriptions recueillies sur des os de bovins et des plastrons de tortues, dont les plus anciennes remontent au 14e siècle avant notre ère. Cette écriture est la seule au monde à avoir conservé la même structure à travers trente-cinq siècles d’une histoire ininterrompue jusqu’à nos jours. Les caractères ont une prononciation monosyllabique (transcrite en caractère romain sous le nom de pinyin depuis 1 956) dans laquelle intervient un élément tonal (quatre tons pour le pékinois, l’un des nombreux dialectes).

Le système de composition des caractères par assemblage de traits ou de figures simples est ouvert, ce qui permet d’enrichir le lexique à l’infini. Le nombre de caractères n’a cessé d’augmenter, jusqu’à compter près de cinquante mille graphies différentes, certaines n’étant toutefois que des variantes d’un même mot. Cependant, à chaque époque, le stock graphique usuel a oscillé entre quatre et six mille.

Dans le passé, pour transcrire une notion nouvelle, on créait un caractère original par combinaison graphique. La tendance actuelle consiste à assembler deux caractères existants, ou parfois plus, et à les enchaîner. Ainsi, le mot « avion » a été forgé en puisant dans le fonds des caractères anciens : « voler » et « machine » ; celui d’ordinateur s’écrit à l’aide du caractère signifiant « électrique » suivi de « cerveau ».

Le premier système de classement

Dans son dictionnaire étymologique, Xu Shen (vers 58-vers 147), au 1er siècle de notre ère, a inauguré un système de classement graphique des caractères qui, bien qu’imparfait, reste fondamental. Les caractères étant formés par des combinaisons de traits, le fondateur de la philologie chinoise a retenu, ou ajouté, pour chaque caractère un élément significatif appelé « clef » ou « radical ». Ces éléments, au nombre de 540, lui ont permis de regrouper tous les caractères sous de grands ensembles. Ce nombre s’est trouvé réduit dans les travaux lexicographiques postérieurs et la plupart des dictionnaires actuels ne comptent plus que 214 clefs.
Par ailleurs, Xu Shen a catégorisé les caractères en six classes. Les quatre premières sont véritablement des modes de création de caractères, classées selon que les caractères se rattachent aux deux catégories de caractères simples ou aux deux catégories de caractères composés.

Explication des formes simples et analyse des formes dérivées
Explication des formes simples et analyse des formes dérivées |

© Bibliothèque nationale de France

Les figures simples

Indépendamment du nombre de traits qui les constituent, de un à plusieurs dizaines, les caractères appartiennent à la catégorie des caractères simples ou des caractères composés. Les caractères simples forment un tout, parfois nommés pictogrammes, que l’on ne peut décomposer. Les figures simples, ou images, peuvent être une représentation stylisée d’objets ou d’animaux, par exemple le soleil, la lune, un œil, un cheval. La graphie ancienne du poisson retrouvée sur les inscriptions oraculaires est une esquisse de poisson. Plus stylisé dans les inscriptions sur bronze, l’animal est représenté avec une tête pointue, un corps écailleux et une queue. La graphie moderne en dérive.

Inscription oraculaire jiaguwen
Inscription oraculaire jiaguwen

Le dessin de l’arbre tel qu’il est tracé dans les inscriptions des hautes époques, en figurant le tronc d’où partent les racines et les branches, a remarquablement peu évolué et la forme ancienne se reconnaît facilement dans la forme actuelle du caractère mu : « arbre ». Quelques figures simples (déictogrammes) ne sont pas seulement la figuration d’objets mais symbolisent des notions. Les caractères signifiant « dessus » et « dessous » forment une paire graphique et sémantique. Un trait est placé de part et d’autre de la ligne d’horizon. Ces graphies anciennes donnent déjà la forme définitive des caractères.

Arbre
Arbre

Les caractères simples se combinent en figures composées

Les caractères chinois sont en grande majorité constitués par l’association de plusieurs caractères simples dont les sens se conjuguent pour exprimer des idées abstraites. Les caractères composés ont au moins deux parties ; l’usage les nomme « idéogrammes » lorsque toutes leurs composantes se rapportent au sens global du caractère.

Par exemple, le pictogramme ri « soleil » redoublé signifie chang « brillant » ou « glorieux » ; triplé en pyramide, le caractère prend le sens de jing « éclat de lumière ».

Le soleil : soleil, brillant, l’éclat de lumière
Le soleil : soleil, brillant, l’éclat de lumière

Le pictogramme du soleil peut être associé à celui de l’arbre pour créer des caractères aux significations très différentes :

  • le soleil placé au-dessous des arbres signifie yao « l’obscurité » ;
  • le soleil placé au-dessus des arbres signifie gao « la lumière » ;
  • le soleil placé derrière des arbres implique l’idée d’émergence et désigne dong « l’Est ».
Le soleil et l’arbre : l’obscurité, la lumière, l’Est
Le soleil et l’arbre : l’obscurité, la lumière, l’Est

D’autres caractères composés sont des idéophonogrammes ou complexes phoniques. Utilisant à nouveau le pictogramme du soleil, prononcé ri, accolé à gauche du caractère signifiant « le roi », prononcé wang, on compose un caractère signifiant « brillant », « éclatant », qui se prononce également wang. L’élément de droite prend dans ce cas une valeur phonétique. Tous les noms d’arbres et par extension les objets fabriqués dans ce matériau sont logiquement pourvus du pictogramme de l’arbre combiné à des graphies qui donnent des indications de prononciation : bo « le cyprès » ou zong « le palmier », de même que ban « la planche » ; lan « l’enclos à bestiaux » ou « la barrière » ; zhuo « la table ».

Comme on le voit pour les caractères du soleil ou de l’arbre, un même caractère simple peut intervenir dans un caractère complexe, soit pour sa valeur sémantique, soit pour sa valeur phonétique.

La réutilisation de caractères existants

Les deux dernières catégories évoquées par Xu Shen puisent dans le fonds des caractères usuels et les réexploitent, ce qui permet d’augmenter le vocabulaire sans créer de nouvelles graphies. Il s’agit d’une utilisation lexicale détournée ou déviée de graphies existantes. Xu Shen distingue entre les caractères qui possèdent un sens pouvant les rapprocher, et les caractères d’emprunt, de sens différents, mais utilisés pour des raisons d’homophonie. Dans le premier cas, il s’agit d’une extrapolation vers l’abstraction d’un mot concret. Par exemple, le caractère bei signifiant « Nord » est figuré par deux hommes dos à dos (le dos se prononce en effet aussi bei). Par transfert de sens, cette graphie vient à signifier le point cardinal auquel on tourne le dos. Dans le cas des caractères empruntés, on utilisera un caractère homophone pour la notion que l’on veut transcrire. Ainsi, wan « dix mille » a emprunté la graphie d’un mot de même prononciation signifiant d’abord « scorpion ».

Scorpion
Scorpion

Dans la plupart des cas, un des éléments constitutifs du caractère lui apporte une indication de prononciation par homophonie. 90 % des caractères chinois sont des idéophonogrammes qui combinent des indicateurs sémantiques et phonétiques. Ainsi, pour écrire le mot « soir » ou « soleil couchant », qui dans la langue parlée se prononçait gan, on a emprunté la graphie du pilon prononcé également gan, à laquelle on a accolé le pictogramme du soleil pour une indication de sens.

Toutefois, l’apprentissage de l’écriture et de la lecture est avant tout global, certains éléments sémantiques ou phonétiques servant davantage d’aide-mémoire que de véritables indicateurs du sens ou de la prononciation. L’élément phonétique, d’ailleurs, issu d’une prononciation fort ancienne, n’est souvent plus évident pour des lecteurs modernes et l’élément tonal, pourtant fondamental, est absent.

Afin de lutter contre l’analphabétisme, la République populaire de Chine a imposé une réforme destinée à simplifier les caractères par réduction du nombre de traits. La complexité du tracé complet du caractère lung « dragon » est transposée dans sa version simplifiée. La tentative d’abrogation des caractères au profit de la transcription romanisée a totalement échoué. Au cours de la décennie précédente, une tendance s’est même amorcée pour le retour aux caractères complets qui n’ont cessé d’être utilisés à Taiwan.

Tracé complet du caractère lung « dragon » transposé dans sa version simplifiée
Tracé complet du caractère lung « dragon » transposé dans sa version simplifiée

Provenance

Cet article provient du site L’aventure des écritures (2002).

Lien permanent

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