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Belle et bonne écriture chinoise

Dictionnaire des graphies sigillaires
Dictionnaire des graphies sigillaires

Bibliothèque nationale de France

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En même temps qu’il fixait le corpus des formes correctes, Li Si (mort en 208 av. J.-C.), le ministre du Premier Empereur, rationalisait la graphie des caractères qui désormais s’inscrivirent tous dans un rectangle virtuel, quel que soit le nombre de traits, tandis que, incisées sur os ou sur écaille, fondues dans le bronze, les graphies antiques étaient « irrégulières ». Le style « petit sceau », xiaozhuan, présente des traits nets et fins, de même épaisseur ; c’est une écriture harmonieuse et bien lisible, principalement utilisée pour la gravure des sceaux et des inscriptions lapidaires.
Collection de sceaux des dynasties Qin et Han
Collection de sceaux des dynasties Qin et Han |

© Bibliothèque nationale de France

L’usage du pinceau – et de supports tels que les planchettes de bambou ou la soie – est à l’origine de l’ « écriture des scribes », lishu. Les traits sont plus épais, des pleins et des déliés fortement contrastés la caractérisent. Le caractère n’occupe plus un rectangle dressé mais un carré légèrement écrasé. Le ductus du pinceau est « apparent ». Pour écrire correctement, il fallait conduire son pinceau selon des règles bien définies. Rapidement, cette écriture des scribes fut prépondérante et l’écriture « des sceaux » tomba en désuétude.

L’emploi de pinceaux plus souples entraîna l’évolution vers l’écriture dite « régulière », kaishu, où les caractères s’inscrivent harmonieusement à l’intérieur de carrés. Les traits sont tracés avec fermeté et précision, bien détachés, la lecture est aisée et sans ambiguïté. C’est l’écriture des documents officiels, des copies solennelles. Les caractères d’imprimerie s’en inspirent.
 

Corpus des graphies des scribes sous les Han
Corpus des graphies des scribes sous les Han |

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Sûtra de la dharani qui libère de tous les ennemis
Sûtra de la dharani qui libère de tous les ennemis |

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L’écriture cursive, ou rapide, xingshu, est l’écriture quotidienne, informelle, celle des notes personnelles et des lettres familières. La main court, et, si le ductus du pinceau suit l’ordre « canonique » des traits, les caractères sont tracés dans un seul et même geste, alors que dans l’écriture régulière le pinceau est « levé » entre les traits.

Plus rapide encore est l’écriture caoshu, « en herbes » ou « cursive brouillonne ». Les traits ne sont plus identifiables et souvent plusieurs caractères consécutifs sont liés. Le geste esthétique prend le pas sur la lisibilité ; celle-ci appartient au domaine de l’art.

Les historiens de l’écriture chinoise considèrent traditionnellement ces quatre styles comme des étapes successives de son évolution. Les fouilles conduites au cours des dernières décennies dans les tombes d’époque Han et Qin, voire des Royaumes combattants, ont mis au jour plusieurs dizaines de milliers de planchettes de bambou ou de bois et quelques manuscrits sur soie. Désormais, pour ces époques anciennes (4e siècle avant notre ère-5e siècle de notre ère), l’étude de l’écriture peut se faire d’après des sources directes – des manuscrits – et non pas sur les « transferts » que sont les inscriptions fondues dans le bronze ou gravées dans la pierre. En outre, pour une même époque, la diversification des sources permet de refonder l’analyse paléographique.

Un nouveau champ d’étude de l’écriture est né : celui des « écrits sur planchettes et sur soie ». Les premières trouvailles avaient rattaché ces manuscrits au style des scribes, l’analyse approfondie de la masse des documents fait apparaître une réalité plus complexe. Avant le 1er siècle de notre ère, l’écriture des scribes n’est pas encore bien fixée, mais on en trouve les prémices dans certaines graphies sigillaires de documents datés de 309 avant notre ère. Des formes cursives de l’écriture sigillaire et de l’écriture des scribes « archaïque » se rencontrent déjà, de même que certaines caractéristiques propres à l’écriture régulière apparaissent au début du 1er siècle de notre ère, alors que les styles régulier, cursif et « en herbes » se fixeront progressivement sous les Wei et les Jin (3e-5e siècle).

De l’écriture, citations d’hier et d’aujourd’hui
De l’écriture, citations d’hier et d’aujourd’hui |

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Autographes de la collection impériale
Autographes de la collection impériale |

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Les règles du bien écrire

L’usage du pinceau à touffe de poils d’animaux plus ou moins souples
L’usage du pinceau à touffe de poils d’animaux plus ou moins souples
L’usage du pinceau à touffe de poils d’animaux plus ou moins souples, « amélioré » selon la tradition par le général Meng Tian au 3e siècle avant notre ère, à l’époque où l’écriture des scribes s’élaborait, est à l’origine de l’analyse calligraphique (orthographique serait plus juste) des caractères chinois « en traits » qui caractérise l’écriture des scribes puis l’écriture régulière. Apparaissent alors des pleins et des déliés car l’encre - qui a remplacé l’épais vernis – garde la trace des subtils mouvements de la main, et si l’on veut maintenir une écriture correcte (l’orthographe), le ductus du pinceau doit respecter des règles strictes. Ces traits fondamentaux, déterminés par leur forme, mais aussi par leur direction, sont au nombre de huit.

Les huit traits fondamentaux

Les huit traits du caractère yong
Les huit traits du caractère yong |

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Le caractère yong, éternel, les renferme tous : le point, la ligne horizontale (à tracer de gauche à droite), la ligne verticale (de haut en bas), le crochet, le trait oblique montant de gauche à droite, le trait allongé descendant de droite à gauche, le trait oblique descendant de droite à gauche, et le trait allongé descendant de gauche à droite. Bien évidemment, ces huit traits se diversifient en fonction de leur contexte propre ; par exemple, un point, deux points ou trois points. Chaque caractère – du plus simple, yi « un », ne comptant qu’un trait, à zhe « bavard », formé de quatre dragons, qui en totalise soixante-quatre – doit s’inscrire parfaitement à l’intérieur d’un carré virtuel de mêmes dimensions. Disposés en colonnes de droite à gauche, les caractères sont régulièrement espacés pour former un texte continu, sans ponctuation.

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© BnF - Éditions multimédias

Le caractère Éternité

Comment tracer les traits du caractère yong
Comment tracer les traits du caractère yong |

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L’ordre des traits est rigoureux : on procède de haut en bas et de gauche à droite et lorsque des traits se croisent, on termine par la verticale. L’organisation spatiale des traits répond à la logique des six modes de formation des caractères de Xu Shen : chaque sous-ensemble entrant dans la composition d’un caractère reste une entité graphique mais peut subir des modifications formelles liées à l’espace qui lui est imparti dans le nouveau caractère.

Par exemple, huo « le feu » prendra des formes différentes selon qu’il se trouve à gauche ou à la base d’un caractère. Ainsi nous avons zha « frire » et zhu « bouillir », mais aussi fen « brûler ». Le maniement du pinceau, qui doit être parfaitement vertical, la pointe perpendiculaire au papier, tenu entre le pouce, le majeur et l’index, la main arquée, le poignet cassé à angle droit par rapport à l’avant-bras maintenu horizontal, est un long et difficile apprentissage.

Huo « le feu »
Huo « le feu »

La connaissance des caractères est indissociable de cet apprentissage puisque chaque caractère est un mot, riche d’un (ou de plusieurs) sens, d’une étymologie et d’une prononciation qui n’est en principe pas notée et qu’il faut aussi apprendre. La maîtrise de l’écriture chinoise requiert des qualités physiques (habileté manuelle), morales (assiduité, persévérance), intellectuelles (compréhension du sens des mots) et sensorielles (sens des proportions et de l’organisation de l’espace). Elle est un passage obligé vers la connaissance, qui donne accès au pouvoir par la voie des examens mandarinaux.

L’art de la calligraphie

De l’habilité parfaite du scribe, moine ou fonctionnaire, qui produit des copies sans reproche, à l’accomplissement esthétique de certains manuscrits, une démarche intellectuelle est à l’œuvre, une quête de la nature essentielle des choses qui s’apparente à celle des peintres lorsqu’ils font fi de la simple imitation des apparences pour atteindre la vérité profonde. L’écriture chinoise, pour être une figuration intellectualisée des éléments de l’univers et non un simple jeu de signes abstraits, propres à la notation phonétique d’une langue parlée, a suscité, de la part des lettrés qui la pratiquaient, une démarche esthétique originale dès la fin des Han (2e siècle). La calligraphie s’est alors érigée en art en transgressant les règles du bien écrire au bénéfice d’une recherche plastique : la tradition attribue à Zhang Zhi (vers 150) l’invention de l’art de la cursive, devenue forme pure, sans souci de lisibilité, interprétation esthétique des formes imposées de l’écriture des caractères.

Les Monts Jingting en automne
Les Monts Jingting en automne |

Photo (C) RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Daniel Arnaudet

Autographes de la collection impériale
Autographes de la collection impériale |

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Une insensible, et comme naturelle, intrusion des lettrés dans le domaine de la peinture, jusque-là réservée aux artistes de métier, a contribué dès l’époque des Tang (618-907) à mettre en valeur la parenté entre les deux arts recourant à un commun médium : le pinceau et l’encre. Leur apport devient déterminant dans les théories d’esthétique picturale, dont le champ métaphorique comme la terminologie technique sont largement empruntés à l’expérience calligraphique.

Peinture, calligraphie et poésie

À partir des Yuan (1278-1368), ce courant intellectuel qui associe étroitement peinture, calligraphie et poésie devient prédominant dans la peinture chinoise. Traducteur d’une pensée déjà fort ancienne, le peintre Shitao, dans ses Propos sur la peinture (écrits entre 1710 et 1720) est très explicite : « Bien que la peinture et la calligraphie se présentent concrètement comme deux disciplines différentes, leur accomplissement n’en est pas moins de même essence » (chap. XVII, « En union avec la calligraphie » ) ; « La peinture constitue le sens même du poème, tandis que le poème est l’illumination qui gît au cœur de la peinture » (chap. XIV, « Les quatre saisons » ).

La Falaise rouge
La Falaise rouge |

Photo (C) MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image musée Guimet

Née avec l’invention de la « cursive moderne » de Zhang Zhi, la calligraphie s’appliquera à tous les styles d’écriture, qu’il s’agisse de l’écriture régulière ou cursive, d’usage courant, des styles surannés comme l’écriture des scribes ou celle des sceaux, habituellement réservés à la calligraphie des titres des peintures ou des inscriptions lapidaires, mais aussi utilisés pour des textes entiers à des époques - Song (1127-1279) et Qing (1644-1911) - marquées par un fort goût pour l’Antiquité.
On a même vu apparaître, au 20e siècle, suite à la découverte des inscriptions oraculaires, des calligraphies interprétées dans ce style. Depuis toujours, il n’est de calligraphes de renom que ceux qui pratiquent plusieurs styles, sinon tous.

Inscription du stupa du Bouddha Prabhutaratna du temple du Qianfusi
Inscription du stupa du Bouddha Prabhutaratna du temple du Qianfusi |

© Bibliothèque nationale de France

Inscription de la Source douce du palais Jiucheng
Inscription de la Source douce du palais Jiucheng |

© Bibliothèque nationale de France

Bien rares sont les calligraphies originales antérieures au 10e siècle, et l’art des grands maîtres des époques anciennes n’est souvent connu que par des copies ultérieures ou par des estampages levés sur des pierres gravées d’après des originaux. Montés en albums, ces estampages sont collectionnés pour eux-mêmes et utilisés comme modèles. Pour les époques anciennes - 11e-13e siècles -, à côté d’autographes authentiques, des copies à main levée exécutées à des dates variables donnent une idée plus vivante et plus exacte des œuvres que ne peuvent le faire les estampages.

Les calligraphies sont traditionnellement montées en rouleaux – horizontaux ou verticaux –, exactement comme les peintures. De la même façon, elles sont conservées roulées, rangées dans des coffrets de bois, et ne sont ouvertes que pour être présentées à des hôtes, à qui l’on fait parfois l’honneur de demander de noter de leur pinceau le souvenir –  élogieux – de leur visite.

Sutra du Lotus de la Bonne Loi
Sutra du Lotus de la Bonne Loi |

© Bibliothèque nationale de France


 

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