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L’abbé Barthélemy, déchiffreur d’alphabets oubliés

Inscription gréco-phénicienne
Inscription gréco-phénicienne

© Musée du Louvre

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Dès avant Champollon, l’abbé Barthélemy (1716-1795) a proposé une méthode de déchiffrement des écritures fondées sur les noms propres. S’il a échoué dans ses efforts pour percer le mystère de l’écriture égyptienne, il nous a laissé le déchiffrement de deux alphabets anciens : le palmyrénien et le phénicien

Lorsqu’on en retrouva la trace, l’alphabet phénicien resta une énigme. On doit à l’abbé Barthélemy la première méthode de déchiffrement fondée sur l’étude d’inscriptions bilingues ; elle lui a permis dans un premier temps de percer les mystères de l’alphabet palmyrénien, puis, mieux encore, de proposer la première interprétation de l’alphabet phénicien. En se fondant sur l’étude des noms propres, il a énoncé, dès le milieu du 18e siècle, les principes qu’utilisera plus tard Champollion pour l’élucidation de la pierre de Rosette, sans parvenir cependant à découvrir le sens de l’écriture égyptienne.

Le déchiffrement de l’alphabet de Palmyre

Palmyre, une cité caravanière située près de la frontière orientale de l’Empire romain, connut dans les premiers siècles de notre ère une grande prospérité, qu’attestent de nombreux monuments et des centaines d’inscriptions surtout religieuses, honorifiques ou funéraires. Mais après le sac de la cité à la fin du 3e siècle apr. J.-C., ses monuments et sa culture tombèrent peu à peu dans l’oubli. Ce n’est qu’au 18e siècle que les premiers voyageurs risquèrent l’aventure dans le désert syrien et rapportèrent les premiers dessins de monuments ainsi que quelques piètres copies d’inscriptions qui suscitèrent la curiosité et des essais de déchiffrement pour le moins fantaisistes. Il revint à l’abbé Barthélemy d’éclaircir le mystère. Dès 1754, soit un an seulement après la diffusion des premières copies exactes d’inscriptions palmyréniennes, il publia le déchiffrement de cette écriture et expliqua comment il avait procédé.

Monnaie de Tyr : Démétrios Ier
Monnaie de Tyr : Démétrios Ier |

© Bibliothèque nationale de France



Comme cette écriture ne comportait que vingt-deux lettres, il s’agissait sûrement d’un alphabet. L’abbé Barthélemy refusa de comparer la forme des signes avec celle d’autres alphabets connus (toutes les écritures comprennent plus ou moins des ronds, des traits, des croix) et se donna une véritable méthode d’analyse. Il décida de commencer par l’étude d’une inscription bilingue, ici palmyrénienne et grecque, dans lesquelles il identifia d’abord le nom propre Septimion Ouorodèn, en tête du texte grec, et il supposa que la version palmyrénienne commençait par le même nom. De plus, il partit de l’hypothèse que la langue de cette oasis du désert de Syrie devait être apparentée avec l’araméen et particulièrement avec le syriaque qu’il connaissait : il en conclut donc que l’écriture ne notait que les consonnes, qui devaient être les vingt-deux mêmes que celles de cet alphabet. L’identification des huit consonnes du nom propre (s, p, t, m, y, w, r, d) lui donnait une base grâce à laquelle il reconnut des mots araméens familiers, par exemplebar, « fils de », pour exprimer la filiation, apportant chaque fois de nouvelles lettres à son déchiffrement bientôt complet.

Le déchiffrement de l’alphabet phénicien

C’est la même méthode que l’abbé Barthélemy employa, quatre ans plus tard, pour proposer l’interprétation de l’alphabet phénicien. Si l’écriture phénicienne était très célèbre puisqu’une tradition bien établie en faisait l’ancêtre de l’alphabet grec et donc de toutes les écritures européennes, peu de documents étaient alors connus. L’abbé Barthélemy décida de se fonder à nouveau sur l’étude d’une inscription bilingue, en l’occurrence deux dédicaces phénico-grecques retrouvées à Malte, une ancienne colonie phénicienne, et d’appliquer la même méthode. La comparaison entre les deux versions était ici plus difficile que dans le cas des inscriptions palmyréniennes puisque l’ordre des mots n’était pas le même dans les deux cas. De plus, les noms propres étaient traduits et non transcrits. Mais un des deux frères auteurs de la dédicace portait le même nom que son père. L’abbé Barthélemy repéra ainsi les noms propres et identifia le mot bn, « fils de », comme en hébreu. À la place du nom du dieu Héraclès, il identifia les consonnes du mot Melqart, son nom en phénicien. Enfin, il reconnut le nom de la ville de Tyr, d’où étaient originaires les dédicants. Ainsi put-il identifier presque toutes les lettres de l’alphabet phénicien.

Estampage de la pierre de Rosette
Estampage de la pierre de Rosette |

Bibliothèque nationale de France

On sait que le but que se proposait l’abbé Barthélemy était de trouver la clé de l’écriture égyptienne. Suivant les principes mis au point dans ses travaux de déchiffrement, il proposait de se fonder sur une inscription bilingue dans laquelle on partirait des noms propres. Pour ce faire, il émit l’hypothèse que les cartouches entouraient des noms royaux. Il souligna la nécessité de connaître une langue apparentée à celle que l’on voulait déchiffrer et il supposa que le copte était une forme récente de l’égyptien ancien. En somme, il ne lui manqua que la pierre de Rosette. C’est la découverte de celle-ci par l’expédition d’Égypte qui permit finalement à Champollion de franchir le pas décisif. Mais chaque déchiffrement est le fruit d’un long processus d’analyse : dans celui de l’égyptien, l’apport de l’abbé Barthélemy fut fondamental.

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