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Naissance du mot et de la phrase dans les manuscrits occidentaux

Écriture caroline de Reims
Écriture caroline de Reims

Bibliothèque nationale de France

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Dans la page, le blanc, les arrêts, la ponctuation ne vont pas de soi. De nombreuses traditions scripturales n'en comportent pas, notamment dans les périodes antiques : pas de respiration dans les textes en hiéroglyphes ou sur les stèles romaines. L'invention des césures entre les mots, les phrases ou les paragraphes a été progressive ; elle est révélatrice des changements dans le rapport de la société à la lecture.

Dans les manuscrits grecs et latins anciens, les pages ont un aspect compact. L'œil glisse sur les lignes sans repère à quoi s'accrocher. Le texte s'inscrit dans un ou deux rectangles, les lettres, toutes de même calibre, sont serrées les unes à côté des autres, sans espace : c'est la scriptura continua. Le seul blanc est constitué par les marges. La page ne délivrait son sens que dans la lecture à haute voix. C'était le lecteur qui ajoutait des signes lui permettant une meilleure compréhension.

L’une des plus anciennes éditions de l’Odyssée
L’une des plus anciennes éditions de l’Odyssée |

© Institut de papyrologie

Au 7e siècle, les moines irlandais qui, n'étant pas de langue romane, éprouvent des difficultés à lire le latin, langue de la littérature et de la liturgie, en réforment l'écriture : ils séparent les mots les uns des autres, ajoutent des signes pour les distinguer et insèrent des espaces plus importants entre les propositions. Ces innovations ne sont pas adoptées hors du monde celtique et anglo-saxon : des œuvres produites en Angleterre, et donc copiées en appliquant les nouvelles règles, ont été recopiées sur le Continent sans séparation entre les mots. Signe de deux sociétés différentes, l'une cherchant à faciliter l'accès aux textes, l'autre réservant la lecture à une élite ?

Initiale ornée d’entrelacs
Initiale ornée d’entrelacs |

Bibliothèque nationale de France

Saint Jérôme, Commentaire sur Isaïe, Livres 1-18
Saint Jérôme, Commentaire sur Isaïe, Livres 1-18 |

Bibliothèque nationale de France

C’est sous le règne de Charlemagne, qui lança une rénovation de l’écriture et de l’enseignement, que des grammairiens comme Alcuin eurent la volonté d’aider à la lecture. Avec la nouvelle écriture caroline, le début des phrases se repère aisément par la majuscule initiale du premier mot. Apparaissent aussi des signes de ponctuation comparables à des notations musicales : la chute de la voix est indiquée par une sorte de point-virgule, qui se renverse pour marquer sa montée, tandis qu'un simple point sépare les éléments d'une énumération. Le point d'interrogation naît également à cette époque.

Traduction latine de l'Almageste de Ptolémée par Gérard de Crémone
Traduction latine de l'Almageste de Ptolémée par Gérard de Crémone |

Bibliothèque nationale de France

Mais le concept de mot est encore flou : des quantités irrégulières d'espace sont insérées à des intervalles aléatoires ne respectant pas les limites des mots. L'écriture s'organise en blocs de mots hiérarchisés, séparés par des espaces plus ou moins grands, de petits espaces tombant entre les syllabes à l'intérieur même des mots. L'arrivée des nouvelles sciences arabes va obliger à plus de lisibilité. Les traités arabes sont traduits en latin et copiés avec séparation de chaque mot, quelle que soit sa nature grammaticale. Ainsi, la reconnaissance rapide des phrases permet au lecteur de se concentrer essentiellement sur la signification du discours.

Au 12e siècle, les mots sont bien individualisés et, lorsque le copiste est obligé d'en couper un en bout de ligne, il place un trait d'union. La ponctuation à l'intérieur des phrases comme en fin est notée par un point. Cette clarté nouvelle des textes s'accompagne de changements linguistiques levant les ambiguïtés d'interprétation.

Les pages des livres universitaires ou des Bibles du 13e siècle ne semblent, à première vue, pas plus lisibles que les manuscrits anciens : le texte est très dense, comporte de nombreuses abréviations et l'écriture gothique est moins claire que la caroline. Cependant, on distingue parfaitement les mots, les phrases sont repérées grâce à une majuscule en début et un point en fin, et, en outre, le passage à une autre idée est marqué par un « pied-de-mouche », signe que l'on retrouve aujourd'hui dans les corrections typographiques avec le crochet indiquant un alinéa. À l'intérieur des phrases apparaissent de fines barres obliques qui deviendront les virgules.

À partir du 15e siècle, on trouve la parenthèse et le point d'exclamation. Ce dernier, d'abord constitué de deux points et d'un trait oblique superposés, ne prendra sa forme définitive qu'un siècle plus tard.

Provenance

Cet article provient du site L'Aventure des écritures (2006).

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