La
pagina, faisant référence aux rangées de pieds de vigne plantés en terre (le latin
pagina signifie "la treille"), désignait une colonne
d'écriture dans le rouleau. Une succession de colonnes plus ou moins étroites, remplies de caractères grecs ou latins "plantés" les uns contre les autres
en lignes parallèles, sans espace entre les mots, défilait dans le sens de déroulement du rouleau de papyrus ou de parchemin, interrompue parfois par
quelques images. Ainsi s'est présenté pendant des siècles le
volumen, livre des civilisations méditerranéennes, jusqu'à son remplacement au
V
e siècle par le
codex, forme qui a traversé les âges et perdure aujourd'hui.
De la pagina à la page
Avec le
codex, terme qui apparaît au III
e siècle alors que l'objet lui-même naissait au début de notre ère, le livre subit sa première grande mutation
et la "mise en pages", expression récente de typographie, prend tout son sens. Les feuilles de parchemin découpées, pliées, réunies en cahiers, assignent
des limites intangibles à la page. Alors que, dans le rouleau, son espace était indéfini
a priori, le
codex la restreint à un format. La
continuité du rouleau rompue, la page devient un espace séparé. Elle est individualisée. C'est sans doute l'étape la plus importante pour le lecteur qui,
physiquement libéré d'une position qui lui mobilisait souvent les deux mains, peut aller facilement d'une page à l'autre, en avant ou en arrière. Mais il ne
s'émancipera de la lecture en continu à haute voix que lorsque le texte sera moins dense, moins figé dans la page. Dans les anciens manuscrits grecs ou
latins, la page apparaît en effet comme une transposition fidèle de la
pagina du rouleau : un ou deux pavés rectangulaires de texte plaqués sur la
surface rectangulaire d'un feuillet. Elle va se transformer peu à peu sous l'influence conjuguée des nécessités de la lecture et de l'enseignement.
La page romane, clarification et respiration
Après la réforme impulsée par Charlemagne, qui clarifie l'écriture et développe dans les
scriptoria des monastères la production de manuscrits
richement décorés, il faut attendre le XI
e siècle pour voir un découpage net
du texte en mots par des espaces, en phrases par la ponctuation, en unités de
sens par des pieds-de-mouche. L'œil se repère et le cerveau comprend plus rapidement : le lecteur devient silencieux, et le copiste également, qui écrivait
sous la dictée ou en lisant à voix haute la phrase qu'il recopiait.