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Micrographies, le texte travaillé comme un dessin

Cantique de la mer Rouge
Cantique de la mer Rouge

© Bibliothèque nationale de France

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La micrographie, littéralement la « petite écriture », est pratiquée dans un grand nombre de cultures. Le plus souvent illisible en raison de sa taille minuscule, elle mêle virtuosité plastique et significations mystiques.

Procédé d’écriture minuscule attesté dans des traditions très anciennes et très diverses (hébraïque, arabe, persane, indienne), la micrographie emporte l’écriture aux confins de l’illisible ; le texte n’y est plus fait pour être lu, mais vu, il devient ornement ou énigme imagée, ou inscription voilée de la puissance d’une parole sacrée dont la force agit à travers l’enfouissement du signe. Elle assume selon les cultures des fonctions différentes.

En Mésopotamie, elle relève de la prouesse technique tant il est difficile d’écrire en caractères minuscules sur l’argile. Ainsi, vers 2000 av. J.-C., par souci de virtuosité ou désir d’accomplir une œuvre exceptionnelle pour la déesse de l’amour, « reine du ciel », un scribe écrivit en sumérien une lamentation, dont un fragment d’argile haut de deux centimètres et comportant trente lignes nous est parvenu. La tablette devait compter près de mille lignes et fut écrite à l’aide d’une lentille réalisée avec un morceau de quartz, ou en fixant l’espace à écrire à travers une paire de roseaux creux pour restreindre le champ de vision.

Cantique de la mer Rouge
Cantique de la mer Rouge |

© Bibliothèque nationale de France

Dans la tradition manuscrite hébraïque (où elle est attestée à partir du 9e siècle), l’écriture micrographique porte sur l’appareil critique donnant dans les marges du texte biblique des indications de lecture, la massore : elle y joue le rôle d’un décor géométrique ou figuratif contribuant à l’embellissement de la page, elle peut aussi avoir valeur illustrative ou suggérer une interprétation cachée du texte. Rompant la linéarité du discours, écho peut-être du Tétragramme imprononçable, elle enroule l’énigme à l’écriture du texte sacré, le redéploie comme un trésor caché.

Bible
Bible |

© Bibliothèque nationale de France

Dans les traditions arabe et indienne, elle s’applique souvent au texte sacré lui-même, généralement connu par cœur : performance ayant valeur sanctifiante pour le scribe qui s’y emploie, elle y affirme aussi la magie d’une présence contenue dans les signes, rayonnant de leur illisibilité même.

Provenance

Article paru dans L’Abécédaire des écritures, Paris : Flammarion, 2000.

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