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Apprendre la lecture et l’écriture dans l’histoire

Scène d’école
Scène d’école

© Bibliothèque nationale de France

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L’invention de l’écriture pose évidemment le problème de la transmission du code graphique aux jeunes générations. Tant que l’égal accès de tous à ces savoirs élémentaires n’est pas envisagé, la méthode ne change guère. Il en va autrement quand l’école devient obligatoire au cours de la seconde moitié du 19e siècle dans les sociétés occidentales, suscitant les multiples interrogations contemporaines.

Apprendre à lire d’abord puis apprendre à écrire

Pendant très longtemps, la grande affaire est d’apprendre à lire. L’apprentissage se fait par un déchiffrement qui va des lettres aux syllabes, aux mots, aux phrases et aux textes. Cette méthode requiert du temps ; Platon estime la lecture acquise, au mieux, en quatre ans et Quintilien martèle : « Ne pas chercher à abréger, ne pas se hâter, ne pas sauter d’étapes ».

Au cours du 1er siècle apr. J.-C., l’invention du codex qui finit par s’imposer libère peu à peu l’écolier de la tâche matérielle d’apprendre à dérouler (explicare) le rouleau (volumen) à lire.

Scène d’école
Scène d’école |

© Bibliothèque nationale de France

La lecture est l’occasion d’inscrire dans les jeunes esprits des préceptes moraux tels les Distiques de Caton. Quand la lecture est acquise, et si les parents le souhaitent, les enfants abordent l’écriture qui, à son tour, emprunte le même chemin. Sur la tablette de bois enduite de cire ou sur des supports de récupération (tessons de poterie, envers de papyrus, écorces d’arbre, chutes de parchemin), l’élève apprend à tracer les lettres en respectant leur ductus et les lignes tracées par le maître selon une méthode que Platon expédie en peu de mots : « Les maîtres d’école tracent des lignes avec leur stylet pour les enfants qui ne savent pas encore écrire, puis leur mettent en main les tablettes et les font écrire en suivant ces lignes ».

Livre des costumes
Livre des costumes |

© Bibliothèque nationale de France

Quintilien suggère la confection d’un outil pédagogique destiné à faciliter le premier contact entre l’enfant et l’écriture et à développer sa motricité fine : « Lorsque l’enfant commence à tracer des lettres, il sera bon de les faire graver pour son usage, avec beaucoup de soin, sur une tablette, afin que le stylet soit guidé dans des espèces de sillons. Étant ainsi contenu de tous les côtés par des bords, il ne sera pas sujet à s’égarer comme dans la cire, et ne pourra pas sortir des proportions déterminées. Cet exercice affermira les doigts de l’enfant par l’habitude de suivre, rapidement et souvent, des traces certaines. »

Durant le long Moyen Âge, les écoles, installées d’abord dans les monastères, près des cathédrales et de certaines paroisses, se multiplient dans les villes à partir du 13e siècle. Nées sous l’impulsion de l’Église, elles proposent très naturellement un apprentissage de la lecture, puis, éventuellement, de l’écriture en latin, la langue de la Bible et du christianisme occidental depuis saint Jérôme.

Dans un monde devenu chrétien, la lecture des Psaumes puis des prières quotidiennes conserve une fonction moralisatrice. À la difficulté d’apprendre à lire s’ajoutent donc celles d’aborder la parole de Dieu et de maîtriser une langue devenue étrangère mais indispensable à qui veut poursuivre des études. Cependant, à côté de ces écoles, il faut imaginer un apprentissage plus laïque auprès des notaires, sans oublier que, dans les familles nobles, la mère a souvent en charge ces apprentissages premiers en langue vernaculaire.

Les abécédaires glissés dans les livres d’heures destinés aux femmes, les friandises en forme de lettres témoignent de ce désir de faire de l’enfant un « élève » dont le corps et l’esprit doivent être « nourris ». Qu’ils soient de luxueux manuscrits ou de simples tablettes de plâtre, les abécédaires indiquent que la méthode pour apprendre à lire reste identique à celle de l’Antiquité, bien qu’une bonne maîtrise de la lecture se mesure désormais dans la capacité finale de lire en silence.

Pour apprendre à écrire, la reprise des préceptes de Quintilien par saint Jérôme et par Abélard au 12e siècle témoigne de la continuité des pratiques de l’Antiquité. Si le papier commence à concurrencer le parchemin à partir du 14e siècle en France, la tablette reste l’outil de l’élève qui apprend à écrire.

Apprendre à lire et à écrire

Au cours des Temps modernes, dans un contexte de diffusion de l’écrit, dans l’atmosphère de la Contre-Réforme favorable à la lecture et dans un esprit de défiance à l’égard des enfants pauvres des villes laissés à la rue par des parents trop occupés à gagner le pain quotidien, les petites écoles se multiplient.

Après les protestants, le 17e siècle catholique se pose l’épineux problème de la langue dans laquelle enseigner la lecture. Jean-Baptiste de La Salle, à partir de 1684, opte fermement pour un apprentissage en français utile pour un futur emploi. Si la méthode reste inchangée, elle use d’un matériel adapté aux enfants : tableaux collectifs pour les lettres, les syllabes, les signes de ponctuation, livres adaptés à l’âge des élèves mais toujours religieux et moraux. Dès la maîtrise de la lecture en français, et tout en abordant celle en latin et celle d’écrits manuscrits, l’élève devient un « écrivain » : il apprend à tailler sa plume, à la tremper dans l’encre, à sécher son écriture avec un buvard (le « papier brouïllard » ) ; il apprend à écrire, sans monter ni descendre, des lettres, des syllabes, des mots et des phrases en respectant la bonne inclinaison, les pleins et les déliés, la norme calligraphique et en évitant les pièges orthographiques dont il a appris à se méfier durant les leçons de lecture. Pour cet apprentissage, les parents doivent acheter du « papier plié en quatre et cousu » : sans employer le mot, la pédagogie de La Salle utilise des « cahiers ». Cette description des premiers apprentissages vaut pour longtemps encore, même si les abécédaires illustrés aident à identifier la première lettre d’un mot.

L’obligation scolaire votée en 1882 sous le ministère de Jules Ferry s’accompagne pour la première fois de programmes détaillés qui exigent la simultanéité des apprentissages de la « lecture courante » et de l’ « écriture en gros ».

Pour l’apprentissage de l’écriture, la plume métallique dispense de la maîtrise de la taille de la plume d’oie mais, à la fin du 19e siècle, le débat fait rage entre une écriture légèrement penchée ou une écriture droite jugée plus respectueuse du corps des enfants. C’est dans ce contexte que, en 1892, le libraire Seyès dépose un brevet pour une réglure des cahiers d’écoliers, toujours d’actualité dans les écoles.

Au début du 20e siècle, la méthode pour apprendre à lire s’appuie à la fois sur une lettre et sur un son entendu dans un mot, et elle recourt à des « livres de lecture » illustrés, plus gais et plus en rapport avec l’âge des enfants.

Le siècle écoulé voit se multiplier les méthodes pour apprendre à lire. Citons la « méthode naturelle » de Freinet, fondée sur des textes écrits et imprimés par d’autres élèves, et la « méthode globale », née entre les deux guerres. Peu appliquée dans toute sa rigueur originelle, cette dernière ne mérite pas la réputation (bonne ou mauvaise) qui lui est faite. À l’heure actuelle, les méthodes tentent de concilier l’accès premier au sens du texte, le désir de lire chez l’enfant et les efforts nécessaires pour atteindre la récompense qui consiste à lire un livre seul. L’apprentissage de l’écriture adopte difficilement le stylobille, largement diffusé à partir de 1953. Autorisé en 1965, il devient en 1972 l’« instrument préféré » dans des instructions relatives à l’enseignement du français à l’école primaire : il libère des « difficultés de la plume à bec » et laisse à l’élève le temps de soigner le contenu de ses écrits en minorant les exigences calligraphiques.

Ainsi, pendant très longtemps, apprendre à lire et à écrire a signifié de longs efforts pour maîtriser le codage. La révolution récente privilégie la recherche du sens pour aller vers le codage. À tort ou à raison, les interrogations sur les méthodes mettent en avant l’échec de la généralisation annoncée et voulue de l’alphabétisation de la population. Sur 800 000 jeunes de 17-18 ans convoqués au printemps 2008 aux Journées d’appel de préparation à la défense, près de 12 % montrent de très faibles, voire sévères, capacités de lecture et risquent l’exclusion dans la société des actuels pays développés.

Provenance

Cet article provient du site L'aventure des écritures (2002)

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