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Signer et valider un écrit au Moyen Âge

Traité d’arithmétique
Traité d’arithmétique

© Bibliothèque nationale de France

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Au confluent de deux fonctions, identitaire et juridique, la signature est le résultat d'un processus historique de longue durée qui commence, en France, au 7e siècle et s'achève au 16e lorsqu'elle devient obligatoire. C'est Henri II qui, en 1554, par l'ordonnance de Fontainebleau, enjoint aux notaires de faire signer les parties contractantes « s'ils savent signer ».

La signature, signe d'identité et signe de validation

Entre le 7e et le 16e siècle, les sociétés occidentales connaissent de profondes transformations. Parallèlement aux mutations économiques, religieuse ou politiques, les modes de représentation évoluent et les systèmes de signes. Ainsi, la période médiévale est à la source de puissantes pratiques sémiotiques : l'héraldique, loin d'être un amas de symboles réservés à la noblesse, forme alors un véritable langage iconique, utilisé par la société entière ; de même s'élabore au Moyen Âge la façon dont nous fabriquons et transmettons les noms propres : le patronyme héréditaire qui caractérise la société française actuelle. Enfin, les seings, les sceaux et la signature sont aussi des produits typiquement médiévaux.

Si elle relève de l'histoire des signes d'identité dont elle est une pièce majeure, la signature appartient aussi à un autre système, beaucoup moins connu, celui des signes de validation. Qu'est-ce qu'un signe de validation ? C'est un signe doté d'un pouvoir particulier : il authentifie un acte, c'est-à-dire qu'il transforme un document en instrument juridique.

Les signes de validation existent depuis plusieurs millénaires, dès qu'apparaît le principe même de la preuve écrite, c'est-à-dire les premiers contrats écrits en Mésopotamie. Ce sont les sceaux qui, les premiers, assument seuls la fonction de validation des écrits juridiques, sceaux-cylindres que l'on déroule sur l'argile des tablettes. Le vendeur d'une terre, par exemple, apposait son sceau sur la tablette d'argile afin de la valider. Les sceaux ont été les instruments privilégiés de validation tout au long de l'Antiquité et du Moyen Âge. Ils le sont encore aujourd'hui en Chine et au Japon.

La signature a donc pris place dans un système de signes de validation dominé par les sceaux. Peu à peu, elle les a supplantés pour demeurer l'unique signe de validation reconnu. C'est en tant que signe doté d'une force considérable, celle de valider des actes, de les authentifier, de les ériger en preuve que la signature est un signe exceptionnel. Sur elle repose en partie la solidité de notre droit écrit.

Les solutions médiévales

La diplomatique médiévale nous enseigne combien difficile est la fabrication d'une preuve écrite. Conférer au parchemin de la force, transformer un écrit en instrument ne va pas de soi. Trois instances sont convoquées pour valider un écrit : Dieu, le roi et les scribes.

La référence à Dieu s'exprime par des invocations directes du type : In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, mais aussi par des marques plus obscures comme les croix ou les chrismons qui souvent « ouvrent » le texte des chartes mérovingiennes et carolingiennes.

Le roi est omniprésent dans les actes de chancellerie. Il est celui qui énonce, il est posé comme auteur principal des actes solennels. Son nom apparaît dès la première ligne : In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Karolus gratia dei rex (Acte de Charles le Chauve, 84.1') ou dans une formule telle que : « Charles, par la grâce de Dieu roy de France » utilisée par Charles V et Charles VI au 16e siècle. De surcroît, le roi est présent par son sceau, apposé à la fin de l'acte, et éventuellement par une souscription autographe. Le grand sceau royal est le signe de validation par excellence.

Enfin, dernière instance associée à la validation des actes, celle des scribes au sens large, c'est-à-dire de ceux qui sont responsables de l'écrit, les professionnels sur qui repose la production documentaire : chanceliers, secrétaires, notaires, etc. Leur responsabilité est triple : ils veillent à la correction graphique de l'écrit (calligraphique et orthographique), à sa conformité textuelle, et sont garants de l'authenticité des actes. Ces grands lettrés utilisent des signes de validation différents de ceux du roi, ce sont des signes autographes, tracés à la main, témoignant de leur savoir. Plusieurs formules se succèderont : les chanceliers carolingiens mettent au point une forme extraordinaire de protosignature, la souscription avec ruche.

Aux origines de la signature : la souscription carolingienne

Regardons de près la souscription d'Adalfus, chancelier de Louis Le Pieux. On trouve à l'initiale un signe d'invocation, le chrismon, symbole de Jésus-Christ. Le chancelier, en traçant ce signe, se place sous la protection de Dieu. Puis vient une longue inscription comportant le nom du chancelier qui a souscrit, Adalfus (le nom de Fridugisus, un autre chancelier, est également mentionné).

La phrase se termine par la formule : subscripsi, « j'ai souscrit ». Le chancelier a transformé la fin du mot en un dessin remarquable, un paraphe fait de traits et d'entrelacs que les diplomatistes ont désigné du terme suggestif de « ruche ».

Les ruches remplissent une fonction cryptique. Chaque chancelier a la sienne, elle permet de vérifier l'authenticité du document. Pour tenir ce rôle, la ruche intègre à l'intérieur de son dessin des signes d'écriture assez étranges. Il s'agit de notes tironiennes, écriture secrète, connue de certains scribes, dont l'usage disparaît au 11e siècle. La légende veut que ce soit Tiron, esclave de Cicéron, qui ait introduit les notes dans Rome afin de pouvoir noter les discours aussi vite qu'ils étaient proférés.

Jusqu'au 19e siècle, elles seront considérées comme des énigmes. Le système est d'une grande complexité car chaque mot ou nom est représenté par un seul caractère. De plus, chaque scripteur développe ses propres variantes. Un recensement effectué en 1817 dénombrait 13 000 notes ! Le déchiffrement demeure difficile et les transcriptions proposées par les paléographes sont prudentes.

Que recèlent ces notes ? Si nous reprenons l'exemple de la ruche d'Adalfus, nous constatons que les notes donnent des informations que nous connaissons déjà car elles apparaissent dans le texte de l'acte : le fait qu'Adalfus a souscrit et « reconnu » l'acte, qu'un certain Hilduinus l'a transmis, et enfin l'année du règne de Louis Le Pieux où l'acte a été établi.

Les informations contenues dans les ruches, cryptées en notes tironiennes, ne sont donc pas mystérieuses comme le supposaient les érudits du 16e siècle. Elles reprennent en partie des données présentes dans la teneur et dans la souscription. La vérification à laquelle se prête éventuellement un expert pour détecter un faux consiste à s'assurer tout d'abord de la forme d'une ruche, qui doit être conforme aux autres ruches utilisées par le chancelier, et surtout, il doit recouper les informations cryptées par les notes tironiennes avec celles, explicites, contenues dans l'acte. C'est ainsi que certains faussaires, imitant sans les comprendre les notes tironiennes, ont pu être démasqués.

Les seings des notaires

À partir du 13e siècle, les notaires inventent des marques graphiques parfois exubérantes, les « seings manuels », également nommés « marques des notaires ». Les seings, en rupture ostensible avec l'écriture, « affichent » bien autre chose qu'une volonté de crypter et d'assurer l'authenticité des actes. Nous sommes ici en présence de véritables marques de fabrication comparables aux poinçons des orfèvres ou aux filigranes des maîtres papetiers. Un acte de 1303 que l'on a voulu particulièrement solennel fut contre-signé par quatre notaires dont on admirera, à titre d'exemple, les souscriptions respectives.

Signes de validation, au même titre que les souscriptions ou que les sceaux, les seings ont surtout été utilisés dans le sud de la France. On en trouve de très modestes qui se contentent de reprendre l'initiale du nom du notaire en l'embellissant, de très astucieux qui se présentent comme des rébus : un notaire du nom de Poulet adopte un seing en forme de poulet, un autre nommé Auzels dessine un oiseau, un certain Pommier, une branche avec des feuilles, etc.

On peut distinguer de grands types, les seings mystiques, par exemple, qui déclinent le motif de la croix, de l'hostie, de l'ostensoir. La sophistication de certains produit de véritables œuvres calligraphiques. Devant de tels excès, on comprend qu'apparaissent bientôt les « petits seings », version très simplifiée des signes. Guillaume de Raiace, par exemple, dispose de deux seings, le grand en forme d'ostensoir, et le petit qui préfigure notre signature moderne, c'est-à-dire son nom propre, sobrement écrit, accompagné d'un paraphe.

Les seings, comme les ruches, sont individualisés. Chaque notaire a le sien qu'il enregistre officiellement. Mais, à la différence des ruches dont la fonction cryptique est centrale, les seings ont d'autres ambitions. Ainsi, l'expression d'une identité personnelle et professionnelle semble commander de nombreux choix graphiques.

Les notaires apostoliques par exemple font souvent figurer des clefs dans leurs seings : ce sont des emblèmes bien connus de la papauté. Les seings mettent aussi en évidence les savoir-faire spécifiques du notaire : il s'affirme à la fois comme scribe, responsable des actes, et comme calligraphe, passé maître dans le maniement de la plume. De ce point de vue, un replacement important s'est opéré depuis les Carolingiens car si la capacité à bien écrire est illustrée dans certaines chartes, l'usage des notes tironiennes met surtout en avant les savoirs traditionnels du scribe de haut rang, sa connaissance de divers systèmes d'écriture.

Certains grands lettrés, comme l'archevêque Théotolon, n'hésitent pas à souscrire en utilisant des lettres grecques. C'est bien le savoir sur les écritures, la polygraphie de l'érudit qui sont alors valorisés et non le talent du calligraphe.

Au-delà de la mise en scène des savoirs et savoir-faire professionnels, les seings se présentent aussi comme des emblèmes personnels. La référence au nom propre du notaire par l'utilisation de rébus ou d'initiales de son nom est assez fréquente. Mais, souvent, le seing est une image dépourvue de lettres, le dessin exprime seul l'identité de la personne. L'importance du message visuel attire l'attention sur la deuxième fonction de la signature qui fait d'elle un signe d'identité.

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