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Une histoire de la typographie des origines à l’ère industrielle

Bible de Gutenberg
Bible de Gutenberg

Bibliothèque nationale de France

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Bien que le mot ne soit attesté que soixante ans après l'impression de la Bible de Gutenberg, l'histoire de la typographie est indissociable de l'histoire des techniques d'impression. Des premiers caractères mobiles extrême-orientaux à l’épanouissement de l’imprimerie industrielle au 19e siècle, la standardisation des signes d’écriture est intimement liée à l’évolution des livres.

Du grec typos (« empreinte d'un coup » et, par extension, « caractère ») et graphein (« écrire »), le mot « typographie » a aujourd'hui un double sens. Il désigne d'une part une technique de composition des textes à partir de caractères mobiles et, par extension, un procédé d'impression utilisant des formes imprimantes en relief. D'autre part, il signifie l'art d'exploiter un espace de communication imprimé (sur du papier, un écran...) pour la diffusion d'un message.

Typographie et imprimerie en Extrême-Orient

Les premiers essais d'impression au moyen de caractères mobiles remontent à la Chine du 11e siècle. Ils sont l'œuvre de Bi-Cheng, forgeron alchimiste, qui réalise des cubes en terre sculptés, cuits et collés dans un cadre de fer au moyen de cire et de résine.

Au 14e siècle, les Coréens exploitent leur savoir-faire en matière de gravure métallique pour fabriquer des monnaies et l'adaptent pour créer des « types » en bronze. Un des premiers ouvrages imprimés à partir de caractères métalliques est le Jikji, anthologie bouddhique des enseignements de l’école chinoise du Chan, centrée sur la méditation, compilée par le religieux Paegun Kyŏnghan (1298-1374), imprimé en Corée en 1377 et conservé à la Bibliothèque nationale de France. C'est le plus ancien connu actuellement.

Anthologie bouddhique des enseignements de l’école chinoise du Chan
Anthologie bouddhique des enseignements de l’école chinoise du Chan |

Bibliothèque nationale de France

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© Bibliothèque nationale de France

Le Jikji

Les premières grandes impressions recensées à ce jour en caractères mobiles métalliques datent de la dynastie des Yi. T'aejo règne de 1392 à 1398, et la dynastie qu'il fonde régnera jusqu'en 1910. Très rapidement, il choisit pour capitale Séoul. Durant les premières années de son règne, il codifie la nouvelle politique nationale d'après le confucianisme. Le livre est donc le vecteur privilégié pour la diffusion de cette nouvelle doctrine d'État. Plus tard, un de ses successeurs, le roi Sejong (1418-1450), lance une réforme de l'alphabet et dirige la création des caractères kabin fondus en plomb en 1434. Ces caractères correspondent à l'apogée de la typographie coréenne ; ils ont été refondus cinq fois au cours des siècles suivants et il y a eu peu de changements jusqu'au 19e siècle, date de l'introduction des techniques modernes occidentales.

Naissance de l’imprimerie en Europe

L'imprimerie naît de la conjonction de facteurs techniques, économiques et politiques.

Si, au 15e siècle, la connaissance des savoirs de l'Extrême-Orient reste lointaine et imprécise, l’idée de créer des caractères indépendants n’est pas entièrement nouvelle. Les Romains en utilisaient en effet pour apprendre à lire, comme en témoigne Quintilien qui propose, pour « stimuler l'étude des enfants », de leur donner des « types de lettres en ivoire ». Par ailleurs, la diffusion du papier, l’usage de presses à écraser le raisin et une amélioration dans la connaissance des encres jouent un rôle essentiel dans la naissance de l’idée d’imprimerie à caractères mobiles.

Les guerres du 15e siècle vont accélérer le progrès : l’un des premiers textes imprimés est celui des Indulgences papales de 1454 à 1455, dont le but est de récolter de l'argent pour lutter contre les Turcs.
Dans les dix premières impressions figurent un « calendrier turc » (vers 1456), deux versions d'une « Bulle du pape contre les Turcs » (1456-1457), ouvrages liés au conflit des Balkans.

La Bible imprimée par Gutenberg, dite B42 (selon son nombre de lignes), est contemporaine de la prise de Constantinople en 1453 qui marque la fin de l'Empire byzantin.Un peu plus tard, les idées de la Réforme vont bien sûr avoir besoin de l'imprimerie pour se répandre, et la Bible en est bien le premier maillon.

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La Bible de Gutenberg

Les idées se propagent également grâce aux premiers services postaux d'État. Ils sont mis en place en France par Louis XI en 1464, en Angleterre sous Édouard IV en 1478 et dans l'Empire germanique sous Maximilien en 1502.

L'invention de l'imprimerie se situe donc au carrefour des besoins de la société et des moyens dont elle dispose alors. Cet « art d'imprimer » va très vite se répandre en Europe dans les grandes capitales commerçantes et universitaires : Nuremberg, Paris, Oxford, Prague, Cracovie, Lyon, Strasbourg, Anvers, Toulouse... et bien sûr en Italie.

Plusieurs centaines d'ateliers s'installent rapidement à Venise. C'est là que vont s'élaborer les premières règles du livre : titre, frontispice, colophon (achevé d'imprimer), le nom de l'imprimeur exprimé par un symbole, par exemple le dauphin pour Alde Manuce, le pot cassé pour Geoffroy Tory, la branche d'olivier coupée et le vieillard pour les Estienne, le doloir pour Étienne Dolet, les griffons enchaînés pour Sébastien Gryphe, l'ami d'Érasme...

Formés à Bâle, Ulrich Gerich, Michel Freyburger et Martin Krantz ouvrent, en 1469, leur atelier dans les bâtiments de la Sorbonne, à Paris. Ils ont des fontes « gothiques allemandes » et romaines. Vers 1475, William Caxton imprime le Recueil de l'histoire de Troie à Bruges, puis crée une imprimerie à Westminster et un peu plus tard à Londres. Il traduit des ouvrages populaires français : Le Roman de Renart (1481), Les Quatre Fils Aymon (1489). Nuremberg est également un grand centre culturel où officient entre autres Ulrich Zel et Gunther Zainer, typographes. À Leyde, enfin, la famille de relieurs-libraires-typographes Elzévir rayonne grâce à la perfection technique de ses éditions et laissera son nom à une classification typographique du 20e siècle.

La typographie humaniste

La Divine Comédie [La Commedia]
La Divine Comédie [La Commedia] |

Bibliothèque nationale de France

Au 15e siècle, l'écriture « humanistique », inspirée des manuscrits des 10e et 11e siècles relatant les textes classiques, se développe en Europe du Sud et principalement en Italie, puis en France à la Renaissance.

Graveur à l'Atelier royal des monnaies à Tours, Nicolas Jenson (1420-1480) part à Mayence, sur l'ordre de Charles VII, pour devenir imprimeur. Mais à son retour, le successeur de son commanditaire n'éprouve aucune sympathie pour l'imprimerie ; Jenson part donc à Venise. Il grave un très beau caractère, la lettera antiqua formata, dans un caractère dit « romain » (droit), en opposition à l'« italique » (caractère incliné), inventé par Alde Manuce qui désirait reproduire l'écriture manuscrite de chancellerie.

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Qui est Nicolas Jenson ?
Par Nathalie Coilly

Alde Manuce (1449-1515), précepteur de Pic de la Mirandole, avait constaté la qualité médiocre des éditions des textes classiques. En 1489, il ouvre une imprimerie à Venise et se consacre à la littérature latine, à la philosophie grecque. Il privilégie les petits formats, et imprime également un des plus beaux incunables : Le Songe de Polyphile, roman allégorique de Francesco Colonna.

Vies des hommes illustres de Plutarque
Vies des hommes illustres de Plutarque |

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Satires de Juvénal
Satires de Juvénal |

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En France, l'humaniste Geoffroy Tory (1480-1533) écrit Le Champfleury, traité de calligraphie et de typographie, et il dessine un caractère dont les proportions sont calculées à partir du corps humain. Il participe activement à l'usage de l'apostrophe et de la cédille.

Le Champfleury de Geoffroy Tory
Le Champfleury de Geoffroy Tory |

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Le Champfleury de Geoffroy Tory
Le Champfleury de Geoffroy Tory |

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Le Champ fleury de Geoffroy Tory

François Ier, qui désire imprimer pour le royaume « les manuscrits grecs sources de toute instruction », confie cette mission à Conrad Neobar puis à Robert Estienne (1500-1561), lequel fait appel à Claude Garamond pour graver les poinçons les « Grecs du Roy ». Ce travail très minutieux durera de 1544 à 1550. Entre 1530 et 1540, il grave un caractère qui va convertir une grande partie de l'Europe à l'alphabet latin et qui devient un symbole de la typographie et une classification du 20e siècle : les Garaldes.

Les bouleversements de la Réforme

À partir de 1530, les imprimeurs français sont systématiquement surveillés et les catholiques extrémistes tentent de contrôler les presses. Tandis que les Estienne s'exilent à Genève, Étienne Dolet, éditeur de textes réformés, publie Platon et est brûlé place Maubert à Paris.

Christophe Plantin apprend le métier d'imprimeur et de relieur chez Robert Macé à Caen. Il s'installe à Anvers en 1549 et devient « architypographe » du roi d'Espagne, Philippe II. Il publie en cinq langues la Bible polyglotte, destinée aux prêtres espagnols, et travaille également pour la Réforme. Il laisse une œuvre considérable de plus de mille cinq cents éditions, ainsi que le très beau « caractère de labeur » (utilisé pour les textes courants contrairement au caractère de titrage) : le Plantin.

Bible polyglotte, dite Bible de Plantin
Bible polyglotte, dite Bible de Plantin |

© Musée Plantin Moretus, Anvers

En 1578, Robert Granjon grave une série de poinçons de caractères arabes ; ils alimenteront également la Maison pontificale. La papauté désire en effet prévenir tout risque d'hérésie. En 1590, l'imprimerie vaticane publie les Évangiles en arabe et édite, deux ans plus tard, un livre de grammaire arabe : Al-Kaliyya d'Ibn al-Hajib.

La typographie à l’âge classique

Les guerres de Religion ont perturbé l'Europe et bien évidemment l'imprimerie. En France, Richelieu fonde en 1640 l'Imprimerie royale et marque la volonté de l'État de soutenir le livre. Louis XIV continue cette politique à travers Colbert, qui lance en 1675 le projet de l'encyclopédie dont les premiers travaux vont porter sur l'imprimerie. Philippe Grandjean et ses collaborateurs, Alexandre et Luce, vont ainsi, entre 1694 et 1714, graver « les Romains du Roy » (le Grandjean), caractère inspiré par les travaux de la Commission Jaugeon qui a tenté une théorisation mathématique et géométrique de la typographie.

Pierre Simon Fournier (1712-1768), homme de lettres et scientifique, fils de fondeur, grave quant à lui de nombreux poinçons dont les caractères seront diffusés dans toute l'Europe. Il crée le « point fournier », mesure typographique ancêtre du point didot.

En Angleterre, William Caslon (1692-1766) commence sa vie professionnelle en gravant des fûts de canons. Il veut perfectionner sa technique et s'intéresse à la fonte des métaux, puis des caractères. Il crée la première fonderie de caractères qui permettra à l'Angleterre de se libérer de la tutelle de son fournisseur hollandais. En 1734, il dessine des caractères romains qui serviront après sa mort à imprimer la déclaration d'indépendance américaine en 1776. Il dessine également des caractères italiques dans quatorze tailles différentes et grave des caractères grecs, hébreux et coptes.

John Baskerville (1706-1775), après avoir été maître d'école, fabricant de meubles laqués, crée une imprimerie à Birmingham en 1752. Esprit inventif, il adapte une nouvelle sorte de papier : le papier vélin. La typographie lui doit un très beau caractère, admiré de ses confrères italiens pour son élégance, les Bodoni. Plus tard, Beaumarchais achètera son matériel typographique. Il s'en servira pour imprimer l'édition complète des œuvres de Voltaire et contribuera ainsi à diffuser l'œuvre typographique de Baskerville en France.

En Italie, Gianbattista Bodoni (1740-1813), issu d'une famille d'imprimeurs, a pour principal commanditaire le duc Ferdinand de Parme. Son premier Manuale Tipografico offre, en 1788, un choix de caractères aux pleins et déliés raffinés, dont le Bodoni. Pour chaque ouvrage, le caractère est choisi avec soin et réflexion. Bodoni a également dans son catalogue plus de mille ornements. Ses mises en page sont un modèle d'équilibre. Le dessin des lettres à empattements filiformes et droits va faire partie de la grande famille de caractères définie au 20e siècle : les Didones, issues du nom des imprimeurs français les Didot.

Les Bucoliques, Géorgiques, l’Eneïde. Bucolica, Georgica, et Aeneis. - Paris, Didot l’aîné, 1798
Les Bucoliques, Géorgiques, l’Eneïde. Bucolica, Georgica, et Aeneis. - Paris, Didot l’aîné, 1798 |

© Bibliothèque nationale de France

Ceux-ci créent une véritable dynastie d’imprimeurs. François Ambroise Didot, fils de François, libraire et éditeur de l'abbé Prévost, est imprimeur-typographe. Il introduit en France l'usage du papier vélin, met au point l'usage d'une presse métallique à bras et invente le point didot. Il entreprend la gravure de poinçons que son fils Firmin continuera pour créer le Didot, sur la demande de Napoléon Ier qui veut substituer au « Romain du Roi » un « Romain de l'Empereur ». Un autre fils de François, Pierre François, crée un des premiers codes typographiques à l'usage des correcteurs.
Jusqu'au 19e siècle, chaque génération de Didot apportera son savoir-faire et de nombreuses innovations techniques à l'industrie papetière, à l'imprimerie et à la typographie.

La typographie de l’ère industrielle

L'essor de l'industrie anglaise génère une forte demande de typographie publicitaire. Elle nécessite des caractères supportant de fortes graisses et une étroitisation importante. Ces caractères dits « antiques », car ils sont inspirés des alphabets grecs, sont sans empattement : l'un des plus marquants sera l'Akzidenz (1898), ancêtre proche du caractère Helvética.

Les fonderies allemandes sont très prospères. La composition manuelle du typographe est remplacée, aux États-Unis puis en Europe, par la machine à composer les lignes-blocs, dite Lynotype (Mergenthaler, 1886) et par celle à composer les caractères mobiles, la Monotype de Lanston, quelques années plus tard.

Punch or the London Charivari
Punch or the London Charivari

Les grandes maisons d'édition s'épanouissent au 19e siècle : Hachette en France, Bertelsmann en Allemagne, Muray en Angleterre... Malgré des rapports tumultueux avec les différents régimes politiques, la presse prend également un essor considérable. En 1811, sous l'Empire en France, quatre journaux vont continuer à paraître : Le Moniteur, Le Journal de Paris, Le Journal de l'Empire (ex-Journal des débats exilé en Belgique avec Bertin l'Aîné) et La Gazette de France. Mais la création typographique va malheureusement souffrir de ces dispositions.

En revanche, sous le second Empire, le tirage des quotidiens parisiens passe de 150 000 exemplaires en 1852 à 1 million en 1870. Après la suppression des « taxes gouvernementales sur le savoir », l'Angleterre voit naître de nouveaux journaux: le Daily Telegraph en 1855, le Standard en 1857... La demande de caractères est donc considérable, d'où la reprise de caractères anciens, plus ou moins bien redessinés, les Revivals.

Ce phénomène, parti d'Angleterre, connaît un point culminant dans les années 1840. Il englobe les lettres dites « égyptiennes », à empattements rectangulaires épais, des caractères romantiques, inspirés du Moyen Âge, et une floraison de caractères fantaisie aux formes décoratives, ombrées, encadrées, etc. Le journalisme américain, en pleine expansion, ainsi que la publicité naissante reprennent ce type de fontes dont ils sont très friands.

Morris Fuller Benton (1872-1948), l'un des dessinateurs de caractères les plus prolifiques, s'adapte parfaitement à son époque. Pour le magazine Century, il crée un caractère étroitisé et lisible; puis, en 1890, le Cheltenham, peu élégant mais solide. Ce caractère, immédiatement très populaire, marquera la typographie américaine.

Un coup de dés jamais n’abolira le hasard
Un coup de dés jamais n’abolira le hasard |

© Bibliothèque nationale de France

En France, les écrivains ont une grande implication dans les journaux : Vallès dans Le Cri du peuple, Sainte-Beuve dans Le Globe, Hugo dans La Lanterne, mais celui qui sera le plus proche des imprimeurs est Balzac. Non seulement il écrit dans La Revue parisienne, mais il crée la fonderie typographique avec Laurent et Barbin, avec d'ailleurs plus ou moins de bonheur dans ses choix. Mallarmé, en 1897, aura plus d'intuition dans Un coup de dés jamais n'abolit le hasard, publié dans la revue Cosmopolis. Remanié pour l'édition de la NRF en 1914, il préfigure déjà les démarches créatives du 20e siècle.

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La lettre et l'image

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