Les plaisanteries des oblats

 

Dans certain prieuré, dont je ne veux pas dire le nom, vivaient des moines fort peu édifiants qui, ayant passé la soirée à boire, manger et bavarder, se trouvèrent très fatigués au moment où l'on sonna matines. Ils se levèrent néanmoins, tout engourdis, et voulurent commencer l'office. Mais, comme ils ne pouvaient se tenir éveillés et que leur tête retombait sur leur livre à chaque verset, ils commandèrent aux enfants de chœur de psalmodier avec eux. Au bout de quelques minutes, tous les moines étaient endormis. Alors, un des enfants qui guettaient ce moment, fit signe à ses compagnons de se taire. Ils se turent d'abord puis, voyant que nul ne bougeait, ils se mirent à jouer tout à leur aise.
Quand ils se furent longuement divertis, l'un d'eux fit tout à coup un grand bruit et s'écria d'une voix forte : Benedicamus Domino ! Aussitôt les moines réveillés en sursaut, de répondre tous en chœur : Deo gratias !
Chacun d'eux demeura persuadé que tous les autres avaient dit matines avec les enfants de chœur et que l'office était terminé ; aussi regagnèrent-ils leur lit en toute hâte. Et c'est ainsi que le diable, avec le secours de la somnolence, sa complice, détruit tout le fruit de l'oraison.

     
  Étienne de Bourbon, Exempla, éd. par Lecoy de la Marché, rééd. J. Berlioz, Le Rire du prédicateur, (Paris, 1992, p. 38-39)

 



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