Le précepteur de Guibert de Nogent

 

 

Dès le moment où je fus placé sous sa conduite, il m'instruisit à une telle pureté, il écarta si bien de moi tous les vices qui accompagnent ordinairement le bas âge, qu'il me préserva entièrement des dangers les plus fréquents. Il ne me laissait aller nulle part sans m'accompagner, ni prendre aucun repos ailleurs que chez ma mère, ni recevoir de présent de personne qu'avec sa permission. Il exigeait que je ne fisse rien qu'avec modération, avec précision, avec attention, avec effort, tellement qu'il semblait vouloir que je me conduisisse non pas comme un clerc, mais même comme un moine. En effet, tandis que les enfants de mon âge couraient çà et là selon leur plaisir, et qu'on les laissait de temps en temps jouir de la liberté qui leur appartient, moi, retenu dans une contrainte continuelle, affublé comme un clerc, je regardais les bandes de joueurs comme si j'avais été un être au-dessus d'eux. L'on m'accordait à peine quelques instants de repos, jamais un jour entier ; j'étais toujours également accablé de travaux, et mon maître s'était engagé à n'instruire que moi, et n'était point libre de se charger d'aucun autre élève.
Je me consumai dans ces inutiles efforts pendant à peu près six années, sans en retirer aucun fruit quant à mes études, mais pour tout ce qui concerne les règles de l'honnêteté, il n'y eut pas un instant que mon maître ne fît tourner à mon plus grand bien. Tout ce qui tenait à la modestie, à la pudeur, à l'élégance des manières, il mit tous ses soins, toute sa tendresse, à m'en bien pénétrer. Mais l'expérience m'a fait sentir depuis combien il agissait avec peu de poids et de mesure, en ce point que, pour m'instruire, il me tenait sans relâche appliqué à l'étude. Plus, en effet, je ne dirai pas seulement l'esprit d'un jeune enfant, mais même celui d'un homme formé, est tendu par une application continuelle, et plus il s'émousse ; plus il se porte avec opiniâtreté vers une étude, plus l'excès du travail diminue ses forces et plus la contrainte qu'il s'impose refroidit son ardeur...

     
 

De Vita sua, I. 5.

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