Un traité de chevalerie

 

Quiconque veut entrer dans l'ordre de chevalerie se doit de considérer et de penser au noble début de la chevalerie. Il convient que la noblesse de son courage et sa bonne éducation concordent et s'accordent à l'origine de la chevalerie. (...) Écuyer, sois attentif à ce que tu vas faire si tu entres dans l'ordre de chevalerie (...). Élection, cheval, armes et seigneurie ne suffisent encore au grand honneur propre au chevalier. Il convient qu'on lui donne aussi un écuyer et un palefrenier qui le servent et qui prennent soin des bêtes. Il convient également que le peuple laboure, bêche et peine pour que la terre produise les fruits dont se nourrissent le chevalier et ses bêtes, et que le chevalier chevauche, exerce sa seigneurie et tire du bonheur de ces choses pour lesquelles les hommes tirent peine et malheur.

(...) La science et l'école de l'ordre de chevalerie exigent du chevalier qu'il fasse apprendre à son fils à chevaucher dès sa jeunesse, et il n'apprendra pas dans sa vieillesse. Et il convient que le fils du chevalier, pendant qu'il est écuyer, sache prendre soin du cheval. Il convient également qu'il soit sujet avant d'être seigneur, et qu'il sache servir un seigneur, car autrement, quand il sera chevalier, il ne connaîtra pas la noblesse de sa seigneurie. C'est pourquoi tout chevalier doit mettre son fils au service d'un autre chevalier pour qu'il apprenne à tailler la viande, à harnacher les montures, et toutes les choses qui appartiennent à l'honneur du chevalier. (...) Les fils de chevaliers doivent apprendre d'abord la science propre à la chevalerie, puis être écuyers et voyager avec les chevaliers en divers pays.

(...) Avoir son harnais en bon état et avoir soin de son cheval appartiennent au métier de chevalier. (...) Chevaucher, jouter, courir une lance, porter les armes, prendre part aux tournois, tenir tables rondes, manier l'épée, chasser le cerf, l'ours, le sanglier, le lion et autres choses semblables, constituent le métier de chevalier. Car, par tous ces actes, les chevaliers s'habituent aux faits d'armes et à maintenir l'ordre de chevalerie. Donc, comme tous les usages susdits sont propres au chevalier quant à son corps, la justice, la sagesse, la charité, la loyauté, la vérité, l'humilité, la force, l'espérance, l'expérience et les vertus semblables à celles-ci sont propres au chevalier quant à l'âme.

Le métier de chevalier est de maintenir et de défendre la sainte foi catholique (...). Tant est noble le métier de chevalier que chaque chevalier devrait être seigneur et gouverneur d'une terre, mais si nombreux sont les chevaliers que la terre n'y suffirait pas. (...) Comme l'empereur ne peut à lui seul gouverner tous les chevaliers, il convient qu'il ait sous son pouvoir des rois qui soient chevaliers et qui l'aident à maintenir l'ordre de chevalerie. Et les rois doivent avoir sous leur pouvoir des comtes, des vicomtes, des vavasseurs et aussi d'autres grades de chevalerie. (...)

Le métier de chevalier est de maintenir et de défendre son seigneur terrestre (...). Le métier du chevalier est de maintenir la terre, car par peur des chevaliers, les gens redoutent de ravager les terres et, par crainte des chevaliers, les rois et les princes redoutent de s'opposer les uns aux autres (...). Le métier de chevalier exige de posséder château et cheval pour garder les chemins et défendre les paysans. Il exige d'avoir villes et cités pour maintenir la droiture du peuple, réunir et assembler en un lieu des charpentiers, des forgerons, des savetiers, des drapiers, des marchands et autres métiers correspondant à l'ordonnance de ce monde et indispensables pour subvenir aux besoins du corps " (...).

Les traîtres, les larrons, les voleurs doivent être poursuivis par les chevaliers. (...) Le métier du chevalier est de défendre les veuves, les orphelins et les impotents. (...)

De l'examen que doit subir l'écuyer qui veut entrer dans l'ordre de chevalerie

Comme la chevalerie est une pure ordination de la valeur, tout écuyer doit être examiné avant d'être fait nouveau chevalier (...). Pour l'examen d'un écuyer, il convient que l'examinateur soit chevalier et qu'il aime l'ordre de chevalerie, car il est des chevaliers qui préfèrent un grand nombre de chevaliers au fait qu'ils soient bons. La chevalerie n'a pas d'égards pour la quantité et elle aime la noblesse du courage et les bonnes aptitudes, c'est pourquoi si l'examinateur préfère la quantité des chevaliers à la noblesse de la chevalerie, il est indigne d'être examinateur et il faudrait qu'on l'examinât et le blamât du tort qu'il fait au haut honneur de la chevalerie.

En premier lieu, il convient de demander à l'écuyer qui veut être chevalier s'il aime et craint Dieu (...). L'âge du nouveau chevalier doit être celui qui convient car si l'écuyer qui veut être fait chevalier est trop jeune, il ne peut avoir appris les enseignements propres d'un écuyer avant d'être chevalier. (...). La haute naissance et la chevalerie conviennent et concordent, car le rang n'est autre chose que la continuation de l'honneur ancien. (...). Pour l'examen de l'écuyer qui veut être chevalier, il convient que l'on s'enquière de ses aptitudes et de ses mœurs. (...) Tu dois savoir dans quelle intention l'écuyer a la volonté d'être chevalier (...) [attention à ceux qui veulent le devenir "pour être riche ou vivre en seigneur, pour être honoré sans honorer la chevalerie"].

L'écuyer sans armes et sans la richesse nécessaire pour maintenir la chevalerie ne doit pas devenir chevalier. (...). L'homme contrefait, trop gros ou ayant d'autres défauts corporels qui l'empêchent d'accomplir son métier de chevalier ne doit pas entrer dans l'ordre de chevalerie. (...) On doit interroger et s'enquérir de l'écuyer qui demande à être chevalier s'il a commis une méchanceté ou une tromperie contre l'ordre (...). Si l'écuyer tire une vaine gloire de ce qu'il fait, il semble ne pas être apte au grade de chevalier, car la vaine gloire est un vice qui détruit les mérites, les récompenses, les bénéfices que peut donner la chevalerie. L'écuyer flatteur ne saurait convenir au métier de chevalier, car le flatteur a une intention corrompue grâce à laquelle il détruit et anéantit la volonté et la loyauté qui conviennent au courage du chevalier. Écuyer orgueilleux, mal élevé, grossier en ses paroles et sale en ses vêtements, au cœur cruel, avare, menteur, déloyal, paresseux, coléreux et luxurieux, ivrogne, gourmand, parjure et qui a d'autres vices semblables à ceux-ci, ne saurait convenir à l'ordre de la chevalerie.

     
  Extraits de Raymond Lulle, Livre de l'ordre de chevalerie, traduit du catalan et présenté par Patrick Gifreu (Paris, Éd. La Différence, 1991)

 



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