Contrôle des orfèvres parisiens par les jurés du métier
(1345-1350)

  Détecter et éviter l'"ouvre fausse" est l'un des premiers soucis des organisations de métier.
Les maîtres-jurés ont pour tâche première de surveiller, contrôler la production lors de leurs visites dans les ateliers. Ce souci est particulièrement sensible pour l'orfèvrerie, d'abord parce que la fraude sur les métaux précieux, très avantageuse pour le fraudeur, est particulièrement tentante, mais aussi parce que, travaillant à la commande, le métier de l'orfèvrerie, plus que tout autre, doit compter avec la confiance des clients potentiels. Ce texte se compose d'extraits, faits en 1462, d'un des registres du métier, aujourd'hui disparu mais conservé, à l'époque, dans la chapelle des orfèvres à Paris. Y sont relatés l'élection et les comptes rendus des visites des gardes-jurés. Les documents réglementaires ne s'attachant que rarement au processus de fabrication, le témoignage d'un tel document apporte un complément précieux sur la vie du métier.
    
 
 

L'an 1345, le dixième jour de décembre furent élus pour être gardes de l'orfèvrerie de Paris, par l'assentiment et l'accord de tout le commun du métier Richart de Villers, Pierre Feuillet, Martin le Fèvre, Guillaume de Montpellier, Pierre Mangars et Pierre de la Chapelle. En ce temps, il advint qu'en faisant leurs visites, ils trouvèrent en la rue au Feurre des annelets de laiton dans lesquels avaient été insérées des pierres d'émail imitant le grenat, ils les confisquèrent partout où ils en trouvèrent, les détruisirent et maître Thomas de La Chèvre, alors lieutenant du prévôt de Paris ordonna à Jean d'Avallon, sergent à verge, de faire commandement aux maîtres des anneliers de laiton de ne plus souffrir, désormais, qu'il en soit ainsi.
L'an de grâce 1346, le 4 décembre, furent élus et établis pour être gardes du métier de l'orfèvrerie de Paris, avec l'assentiment et l'accord de tout le commun dudit métier, Thomas Anquetin, Jean Poitevin, Guiart Villain, Jean Rous, Jean de Dreux et Jean Cornille. En ce temps, fut trouvé sur Colin Begent un gobelet d'argent garni d'émaux de plite d'argent, lequel gobelet qui était de mauvais et excessif recrois pesant 5 onces ou environ, fut détruit. Colin se présenta devant le prévôt de Paris en disant que les maîtres lui avaient fait tort et dommage de détruire ledit gobelet qui était, selon lui, bon et loyal. Le prévôt voulut en avoir la connaissance et que les gardes du métier ne puissent condamner sans en appeler à lui et pour cela, il voulut obliger les gardes à payer une amende. Les gardes firent un procès et ils le gagnèrent : on jugea que lesdits gardes avaient bien jugé, sans faire aucune innovation sur le métier.
L'an 1347, le deuxième jour de janvier, furent élus et établis pour être gardes du métier de l'orfèvrerie de Paris, avec l'assentiment et accord de tout le commun métier, Aliaume Goriau, Régnault Hune, Pierre Boudet, Jean de Nougis, Amis de Baumes et Thomas de Langres. En ce temps, pendant les visites, furent trouvées sur plusieurs bonnes gens du métier des verges d'or émaillées qui étaient fourrées d'argent et de cuivre et étaient vendues, de bonne foi, par le métier et par les bonnes gens pour de l'or. Perrin Pougeri confessa les avoir vendues et les avoir faites, c'est pourquoi il fut mis en prison au Châtelet puis fut rendu à la cour de l'official.
L'an 1348, furent élus et établis pour être gardes du métier de l'orfèvrerie de Paris, avec l'assentiment et raccord de tout le commun du métier, Jean de Toul, Roger de Soissons, Jean le Bidant, Jacques Boullon, Robert Hure et Jean d'Épernon. Il advint en ce temps qu'un marchand que l'on appelait maître Remon de Tournon avait plusieurs joyaux faux qu'il avait préparés et emballés afin de les porter hors du pays. Ces joyaux, il les avait fait forger et, de sa main, garni de fausses pierres et orfèvrerie, émaux de plite qui n'étaient ni bons ni suffisants, plaqués à la colle et couverts entre les émaux de feuilles d'or semblables à de l'or fin. Pour la fausseté de ces joyaux, maître Remon fut pris et emprisonné et, de plus, mis au pilori. Lesdits joyaux pesaient 85 marcs et donnèrent (à la fonte) 56 marcs qui furent acquis au roi pour les méfaits dessus dits.
L'an 1349, le sixième jour de décembre furent élus et établis pour être gardes du métier de l'orfèvrerie de Paris, avec l'assentiment et raccord de tout le commun du métier, Jean de Mantes, Martin le Fèvre, Thomas Coutain, Richard Desnés, Guillaume Gargoulle et Gilles Pasquier. De leur temps, il advint que Jean Manessier, orfèvre, avait fait une ceinture à un maçon et mis du laiton dans les bâtes soudées à la boucle et au mordant pour les consolider. Il fut livré au prévôt pour ce fait.

 
 

G. Fagniez, Études sur l'industrie et la classe industrielle à Paris aux XIIIe et XIVe siècles, 1877, Réimpr. 1970,
p. 299 et suiv. Adaptation de l'ancien français.