Les révoltes grondent (novembre 1306)
  Des révoltes populaires de grande ampleur ensanglantèrent le XIVe et le XVsiècle. Le XIVsiècle connut la Jacquerie en Île-de-France (1358) et la révolte des paysans en Angleterre menée par Wat Tyler (1381). Des révoltes éclatèrent aussi en Aragon et en Catalogne en 1409-1413. Mais dès la fin du XIIIe siècle, une vague de révoltes se répand dans tout le royaume de France.
La Flandre prend les armes contre le roi de France et les villes flamandes connaissent un état de révolte presque permanent. La révolte parisienne de 1306 a été provoquée par les mutations monétaires qui influaient sur le prix des loyers. Il est intéressant de mettre côte à côte les deux chroniques suivantes : l'une d'entre elles donne plus de renseignements que l'autre et son auteur fait montre d'une plus grande liberté vis-à-vis du sujet.
    
 
 

Continuation de Géraud de Frachet

À cause d'une mutation monétaire, c'est-à-dire du passage de la monnaie faible à une monnaie forte, une révolte désagréable s'éleva à Paris à cause des loyers des maisons. En effet, les citoyens de Paris étaient forçés de louer leurs maisons et d'acquitter leurs loyers en monnaie forte selon l'ordonnance royale, ce qui correspondait pour le petit peuple à s'acquitter d'un loyer presque triplé par rapport au prix habituel. Enfin, une foule de gens du peuple et des bourgeois de Paris, excités contre le roi, se dirigèrent aussitôt vers la maison du Temple à Paris, dans laquelle ils savaient que le roi s'était réfugié, et demandèrent de pouvoir accéder devant lui et quand cela leur fut refusé, ils bloquèrent les issues de la forteresse du Temple par la force, afin que les vivres ne puissent être apportés au roi. De plus, quand ils se rendirent compte qu'Étienne Barbette, citoyen de Paris, riche et puissant, qui était officier voyer de la cité, était le principal conseiller et à l'origine de l'ordonnance sur le loyer des maisons, très en colère contre lui, ils livrèrent au pillage puis aux flammes d'abord la maison qu'il avait hors des murs de la cité, puis la maison qu'il habitait près de Saint-Martin dans le faubourg. Quand le roi découvrit ces méfaits, ne supportant pas plus longtemps le mal qui avait été fait à lui-même et à son bourgeois, il punit de mort tous les fauteurs de troubles qu'il put trouver. Et il fit pendre les plus coupables, hors des portes de la cité, aux arbres les plus proches, ainsi qu'à des fourches patibulaires installées aux entrées les plus importantes de la ville.


Jean de Saint-Victor

Cette même année, le roi de France Philippe IV voulut, ainsi qu'il l'avait promis auparavant au pape Benoît XI, rétablir en bon état la monnaie ayant cours dans tout le royaume ; et il fit ordonner, vers la fête de saint Jean-Baptiste, partout par les villes et les châteaux du royaume, ainsi qu'il fut consigné dans l'acte, qu'à partir de la Nativité de la Vierge en septembre, tous les contrats seraient passés en bonne monnaie, à la valeur de la monnaie ayant cours au temps de son aïeul Saint Louis, et que tous les revenus et loyers des maisons seraient versés en bonne monnaie. C'est pour cette raison qu'une révolte éclata et beaucoup d'autres par la suite. Les citoyens de Paris, surtout les pauvres et les moyens, qui louaient leurs maisons, à cause de l'augmentation par trois du prix des loyers, ourdirent une conspiration d'abord contre les propriétaires des maisons et ensuite contre le roi. En effet, ces gens en armes et désespérés assiégèrent le roi dans le Temple, où il s'était réfugié avec ses sergents d'armes, ses chevaliers, de nombreux barons et conseillers afin qu'il ne puisse recevoir de nourriture et objets de première nécessité avant de leur avoir parlé pacifiquement à propos de leur requête (ce que le roi refusait, au contraire, il se dérobait). Et parce qu'on disait que le conseiller du roi sur ce sujet était Étienne Barbette, citoyen de Paris et voyer de la ville, ils se réunirent en une seule foule, puis une partie alla incendier entièrement la maison que ledit Étienne avait en dehors de la ville, et l'autre mit à sac une autre maison qu'il avait dans la ville. Et la foule tenait le roi, ses frères et ses barons si bien assiégés dans le Temple qu'aucun d'eux ou de leurs hommes n'osait entrer ou sortir. Ce fut la raison de bien des malheurs : en effet, le roi par la main armée des nobles répondit par la violence, et plusieurs émeutiers furent tués, et d'autres pendus aux arbres près de la ville le jour de l'Épiphanie, pour que tous les voient ; d'autres encore qui n'étaient que suspects, furent emprisonnés quelque temps dans les prisons royales. Il saisit les biens de tous les gens qui avaient été pendus. Quelques innocents furent pendus ; tandis que d'autres, conscients du péril où ils étaient, choisirent la fuite.

 
 

Continuation de Géraud de Frachet, dans Recueil des historiens de France, XXI, p. 27. Traductions du latin.
Jean de Saint-Victor, dans Recueil des historiens de France, XXI, p. 647. Traductions du latin.