Accord entre Philippe Auguste et I'évêque de Paris (1222)
  Le roi capétien, même s'il se trouvait à Paris dans sa capitale, a mis longtemps à s'en rendre le véritable maître sur le plan juridique. D'autres seigneurs, comme le vicomte de Meulan, y étaient plus puissants que lui. L'évêque de Paris était l'une des puissances parisiennes avec laquelle il devait compter. Philippe Auguste transige ici avec l'évêque Guillaume de Seignelay et le chapitre de Paris au sujet de leurs droits respectifs dans la ville de Paris. Une enquête, l'année précédente, avait déjà éclairci certains points. Tout en reconnaissant une partie des droits usurpés par l'évêque, le roi rendait impossible des empiétements ultérieurs. L'acte sera respecté jusqu'en 1674. Cette charte qui fut écrite à Melun en 1222 est connue sous le nom de Philippine, de forma pacis ou charta pacis.
    
 
 

Au nom de la sainte et indivise Trinité, Amen. Philippe par la grâce de Dieu roi de France. Sachent tous présents et à venir que c'est la paix faite entre nous d'une part et l'évêque et le chapitre de Paris d'autre part. Nous voulons et octroyons que l'évêque de Paris et ses successeurs aient à Paris un drapier, un cordonnier, un maréchal-ferrand et un forgeron, un orfèvre, un boucher sur le Parvis, un charpentier, un tonnelier, un boulanger, un portier, un pelletier, un tanneur, un épicier, un maçon, un barbier, un sellier, qu'ils aient la liberté dont les artisans des évêques ont joui jusqu'ici ainsi qu'un prévôt qui jouira de la même liberté, en tant que prévôt de l'évêque. Et quand l'évêque prendra ces artisans à son service, il dit, par sa parole qu'il aura donnée au roi, qu'il les prendra en toute bonne foi sans méprise envers nous ; et nous ne grèverons pas ces artisans de tailles après la mort de l'évêque pour la raison des susdits offices ; et les artisans qui seront ainsi pris, l'évêque doit les nommer ou faire nommer par nous ou notre prévôt. Les artisans doivent se conduire de telle façon que chacun d'eux fasse, quand il est engagé, le métier pour lequel il est engagé.
Des méreaux : nous voulons qu'ils soient supprimés comme il convient pour les clercs ; et les marchandises doivent être portées sans péage sur la foi jurée du charretier ou du sergent qu'ils mènent des biens de clercs ou personnes d'église.
Des haubanniers forains : nous voulons que les haubanniers en dehors de la ville rendent à l'évêque de Paris les coutumes honnêtes comme s'ils n'avaient jamais été haubanniers, et dorénavant ils ne seront pas haubanniers s'ils ne sont habitants de Paris. Des haubanniers qui sont "du corps de Paris" ou des "bourgs de Paris", l'évêque ne peut demander aucune coutume.
Au bourg Saint-Germain ou en la culture l'Évêque ou au clos Bruneau, nous avons le rapt et le meurtre quand les ravisseurs ou meurtriers sont pris en flagrant délit et qu'ils ont avoué spontanément, et nous avons leurs biens meubles en entier ; s'ils nient avoir été pris en flagrant délit ou ne l'ont pas reconnu spontanément alors que notre prévôt a des témoins crédibles, l'évêque doit les recevoir là-dessus. Et s'ils sont convaincus par les témoins, ils seront livrés à notre prévôt comme s'ils avaient été convaincus par duel judiciaire. Si les ravisseurs ou les meurtriers ne sont pas pris en flagrant délit ou n'ont pas avoué spontanément et si quelqu'un veut les convaincre de meurtre ou de rapt, par un duel judiciaire, celui-ci aura lieu dans la curia de l'évêque. De ceux qui seront convaincus de cette manière par duel judiciaire dans la curia de I'évêque, nous rendrons justice et nous aurons leurs biens meubles en entier.
Au bourg Saint-Germain, dans la culture l'Évêque et au clos Bruneau, nous avons l'ost et la chevauchée, ou la taille levée pour ces raisons, ainsi que le guet comme dans "le commun" de la ville de Paris. Nous avons aussi, nous et nos successeurs, la taille dans ces mêmes lieux quand nous marions nos fils chevaliers et quand nous marions nos filles. Et il fallait payer la rançon pour nous libérer de prison, dans laquelle nous serions tombés à la guerre ou autrement, nous ne pourrons lever la taille sur les habitants de ces mêmes lieux sans I'assentiment de l'évêque.
Dans ces mêmes lieux, nous avons la justice sur les marchands pour tout ce qui concerne le commerce. Nous avons aussi les crieurs et les mesures de vin ; notre prévôt lèvera la taille sur les mesures de blé ; l'évêque contribuera pour un tiers aux frais entraînés par le mesurage du blé mais son sergent percevra une semaine sur trois les droits de mesurage. Nous avons en revanche dans le vieux bourg Saint-Germain 60 sous pour la taille du pain et du vin, une année sur trois.
Dans le bourg Saint-Germain, dans la culture I'Évêque et au clos Bruneau, I'évêque aura les profits de la justice des homicides et des autres causes de justice pour les coupables pris sur sa terre, et ces profits seront levés selon la coutume de Paris – le rapt et le meurtre nous étant réservés comme il est dit ci-dessus. Les voleurs et les homicides qui seront attrapés dans les lieux ci-dessus seront jugés par I'évêque à Saint-Cloud ou dans un autre endroit de sa terre en dehors de la banlieue de Paris. Les voleurs ou les autres qui devront être mutilés pour leur peine le seront n'importe où sur la terre de I'évêque.
Au sujet de nos halles sises en Champeaux, il en sera ainsi : elles resteront toujours notre propriété à nous et nos successeurs en paix ; I'évêque cependant percevra une semaine sur trois les coutumes qui lui sont dues ; ni I'évêque ni ses successeurs non plus que le chapitre de Paris ne pourront nous attaquer en justice.
Du fief de La Ferté-Alais : il nous demeurera désormais et I'évêque ni le chapitre n'y pourront rien changer. Tous les ans, nous devons faire payer à I'évêque 60 s. pour le cierge de ce fief et 45 s. pour le cierge de Corbeil et de Montlhéry et I'obligation de porter I'évêque nouvellement désigné par trois chevaliers.
L'évêque et le chapitre nous ont donné le Monceau-Saint-Gervais à perpétuité, selon I'échange qui en a été fait.
L'évêque aura ses "boîtes" dans nos maisons du Grand et du Petit Pont. L'évêque a les droits de justice dans la rue Neuve-Notre-Dame pour tout ce qui est hors des maisons de la rue jusqu'a la grande rue du Petit-Pontet nous avons les droits de justice à I'intérieur des maisons de la rue.
L'évêque percevra tous les ans 20 livres à la Toussaint sur la prévôté de Paris pour les dommages qu'il affirmait avoir subis du fait des travaux du Châtelet, du Petit Pont et du château du Louvre, ainsi que pour le paiement des halles et du fief de La Ferté-Alais. Le chapitre de Paris percevra tous les ans, au même terme, 100 sous sur la prévôté pour célébrer notre anniversaire a perpétuité dans I'église de Paris.
Nous avons toute la voierie et toute la justice du chemin qui est sur la "Terre-I'Évêque" depuis la maison que feu Henri archevêque de Reims avait autrefois édifiée au Louvre jusqu'au pont de Chaillot, donc sur le chemin royal qui est de 18 pieds et de même sur le chemin public depuis I'église de Saint-Honoré dans toute la "Terre-I'Évêque " jusqu'au pont du Roule. Dans toutes les autres voies qui sont et seront sur la terre de I'évêque, dans ces limites, sauf deux d'entre elles, I'évêque a tous les droits de justice sauf le rapt et le meurtre. Et si l'on bâtit une ville neuve ou un bourg neuf dans la "Terre-l'Évêque", l'évêque et ses successeurs auront tous les droits de justice sauf le rapt et le meurtre que nous retenons pour nous comme nous les avons retenus dans le bourg Saint-Germain. Et nous aurons en outre les autres coutumes que nous avons dans la culture de l'Évêque, ainsi qu'elles sont décrites ci-dessus.
Pour que toutes ces choses obtiennent une force perpétuelle, nous avons fait munir cette feuille de l'autorité de notre sceau et de I'apposition du seing royal. Fait à Melun année de I'incarnation 1222, la 44e année de notre règne, présents au palais les personnes dont les seings sont souscripts : Sénéchalat vacant. Bouteillerie vacante. Seing de Barthélemy chambrier. Seing de Mathieu connétable. Donné la chancellerie étant vacante.

 
 

Anne Lombard-Jourdan, Paris, Genèse de la ville.
La rive droite de la Seine des origines à 1223
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Paris, éditions du CNRS, 1976. p. 163-166 et pl. XI (reproduction de l'original).
Traduction du latin et de l'ancien français.