Nourriture de campagne
 
 

Et si ne mainnent nulles pourveances de pain ne de vin, car leurs usages est telz en guerres et leurs sobrietés, qu'il se passent bien assés longement de char cuite à moitiet, sans pain, et de boire aigue de rivière, sans vin. Et si n'ont que faire de chaudières ne de chauderons, car il cuisent bien leurs chars ou cuir des bestes meismes, quant il les ont escorcies. Et si sèvent bien qu'il trouveront bestes à grant fuison ou pays là où il voellent aler. Par quoi il n'en portent aultre pourveance que cescuns emporte, entre le selle et le peniel, une grande plate pière. Et se tourse derrière lui unes besaces plainne de farine en celle entente que, quant il ont tant mangiet de char mal quitte que leur estomach leur samble estre wape et afoiblis, il jettent celle plate pière ou feu et destemprent un petit de leur farine d'yawe. Quant leur pière est cauffée, il jettent de ceste clère paste sus ceste chaude pière, et en font un petit tourtiel à manière de une oublie de beghine, et le menguent pour conforter l'estomach. Par ce n'est point de merveilles se ilz font plus grandes journées que aultres gens, quant tout sont à cheval hors mis le ribaudaille. Et si ne mainnent nul charoi ne aultres pourveances, fors ce que vous avés oy.

 
 

Jean Froissart, Chroniques, Premier Livre (1327), "Les Écossais ravagent le Northumberland" (Livre de poche,
"Lettres gothiques", 2001, p. 118-119)