Préparatifs
 
 

C'était là qu'elle avait pour logis particulier une très vaste salle plénière et beaucoup de belles chambres bien parées.
Ayant longé une rivière, les voici donc tous deux parvenus jusqu'en ce manoir. Pour leur donner passage, on leur descend un pont-levis. Rien ne les retient au seuil de la salle dont l'huis est alors grand ouvert. Ils voient une longue table couverte d'une grande nappe. Déjà on avait mis dessus des plats, des chandelles en chandeliers et des hanaps d'argent doré, plus deux pots, l'un plein de moré et l'autre de fort vin blanc. Près de la table, au bout d'un banc, ils trouvent deux bassins d'eau chaude pour se laver les mains, et à l'autre bout, une serviette bien ouvrée et très blanche pour s'essuyer. Ils ne virent ni valets ni écuyers. Le chevalier se débarrasse de son bouclier et le suspend à un croc. Il place sa lance dans un râtelier. Il saute à bas de son cheval et la demoiselle du sien. Il plut beaucoup au chevalier qu'elle n'eût voulu attendre son aide. À peine descendue de cheval, la demoiselle s'en court à sa chambre. Elle apporte un manteau d'écarlate dont elle revêt son hôte. Dans la salle mille ténèbres. Pourtant les étoiles luisaient déjà au ciel.
Il y avait tant de chandelles, de tortices gros et ardents que très vive était la clarté.
Quand elle lui eut attaché au cou le manteau :
"Ami, dit-elle, voici l'eau, voici la serviette. Personne ici pour vous les présenter, sinon moi comme vous voyez. Lavez vos mains et prenez place dès qu'il vous plaira.
– Bien volontiers."
Il s'assied, et elle s'assied près de ce chevalier qui lui plaît vivement. De compagnie ils mangent et boivent. Quand ils sortent de table, la jeune fille dit au chevalier :
"Sire, allez là dehors vous distraire. Mais n'y demeurez que le temps que vous penserez nécessaire pour mon coucher. Alors vous pourrez venir, si vous voulez tenir votre promesse."

 
 
 

Chrétien de Troyes, Lancelot, le Chevalier à la charrette, 1178, traduction de Jean-Pierre Foucher (Gallimard,
"Folio ", 1970, p. 170-171)