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Tandis qu'ils parlaient ainsi, un valet entra, qui
dit au roi : "Sire, je vous apporte nouvelles très merveilleuses.
– Quelles ? fit le roi. Dis-les-moi. – Sire, là-bas,
devant votre palais, j'ai vu flotter sur l'eau un grand perron. Venez
le voir, car je sais bien que c'est une chose étrange". Le
roi descendit, suivi de tous les autres. Arrivés au rivage, ils
y virent un perron de marbre vermeil, qui était sorti de l'eau
; sur ce perron, une épée, belle et riche, était
fichée, dont la garde était de pierres précieuses,
très habilement ouvragée de lettres d'or. Les barons regardèrent
ces lettres, qui disaient : NUL JAMAIS NE M'ÔTERA D'ICI, SINON
CELUI AU CÔTÉ DUQUEL JE DOIS PENDRE. ET CELUI-LÀ SERA
LE MEILLEUR CHEVALIER DU MONDE. Le roi dit à Lancelot : "Beau
sire, cette épée est à vous, par bon droit, car je
sais bien que vous êtes le meilleur chevalier du monde." Lancelot
répondit, tout courroucé : "Certes, Sire, elle
n'est pas mienne, et je n'aurai pas la hardiesse d'y mettre la main. Je
n'en suis pas digne, et ce serait folie que d'y prétendre. – Pourtant,
dit le roi, essayez, nous verrons si vous pouvez la retirer.– Sire,
reprit Lancelot, je ne le ferai point. Car je sais bien que nul ne le
tentera, s'il n'y réussit, qu'il n'en subisse grave dommage. – Comment
le savez-vous ? dit le roi. – Sire, je le sais bien. Et
je vous dis autre chose encore ; je veux que vous sachiez qu'en ce jour
commenceront les grandes aventures et les grandes merveilles du saint
Graal."
Voyant que Lancelot n'en ferait rien, le roi dit à messire Gauvain :
"Beau neveu, essayez ! – Sire, répondit-il,
permettez que je ne le fasse point, puisque Lancelot ne veut pas le tenter.
C'est en vain que j'y mettrais la main, car il est bien meilleur chevalier
que moi.
– Essayez toutefois, fit le roi, non pas pour avoir l'épée,
mais parce que je le veux". Gauvain y met la main, prend l'épée
par le haut et tire, mais ne peut l'arracher, et le roi lui dit :
"Beau neveu, laissez ; vous avez obéi à mon commandement.
– Messire Gauvain, fait Lancelot, sachez que cette épée
vous touchera encore de si près que vous ne voudriez l'avoir pour
un château. – Sire, fit Gauvain, je n'y puis mais ;
si même j'en devais mourir, je l'eusse fait pour accomplir la volonté
de mon seigneur". Quand le roi entendit ces paroles, il se repentit
de ce que Gauvain avait fait.
Il dit alors à Perceval d'essayer à son tour. Perceval répondit
qu'il le ferait volontiers, pour tenir compagnie à messire Gauvain.
Il mit la main à l'épée, tira, mais ne put l'avoir.
Tous pensèrent alors que Lancelot avait raison et que l'inscription
disait vrai ; et personne ne fut si hardi que d'y mettre encore la main.
Messire Kex dit au roi :
"Sire, Sire, vous pouvez maintenant vous asseoir pour dîner
quand il vous plaira, car il me semble que l'aventure ne vous a pas failli.
– Allons, dit le roi, aussi bien est-il grand temps !"
Les chevaliers s'en allèrent donc, laissant le perron à
la rive. Le roi fit sonner le cor ; il s'assit sous son dais, et les compagnons
de la Table ronde chacun à sa place. Ce jour-là, quatre
rois couronnés servaient, et avec eux tant de nobles seigneurs
que c'était merveille. Et quand chacun se fut assis, il se trouva
que tous les compagnons de la Table ronde étaient venus, et les
sièges occupés, sauf celui que l'on appelait le Siège
Périlleux.
Après le premier mets, il leur advint une merveilleuse aventure :
les portes et les fenêtres se fermèrent d'elles-mêmes,
sans que nul n'y mît la main, et sans que la salle s'obscurcît ;
tous en furent ébahis, les fols et les sages. Le roi Arthur parla
le premier : "Par Dieu, beaux seigneurs, nous avons vu choses étranges
aujourd'hui, ici comme au rivage. Mais je crois que ce soir nous en verrons
de plus étranges encore."
Cependant on vit survenir un prud'homme, très âgé
et vêtu d'une robe blanche ; mais personne ne sut par où
il était entré. Il arrivait à pied, menant par la
main un chevalier en armure vermeille, sans épée et sans
écu. Et il dit à tous, quand il fut au milieu de la salle :
"La paix soit avec vous." Puis, apercevant le roi : "roi
Arthur, je t'amène le Chevalier Désiré, celui qui
est né du haut lignage du roi David et de Joseph d'Arimathie, celui
par qui doivent finir les merveilles de ce pays et des terres étrangères.
Le voici." Le roi, tout heureux de cette nouvelle, répondit
au prud'homme : "Sire, soyez le bienvenu, si vos paroles sont
vraies. Et que le chevalier soit le bienvenu ! Car si c'est celui
que nous attendions pour achever les aventures du saint Graal, nous lui
ferons fête comme jamais on ne le fit à personne. Quel qu'il
soit, celui que vous dites ou un autre, je lui souhaite grand bien, puisqu'il
est d'une si haute extraction. – Par ma foi, fit le prud'homme,
vous verrez en temps voulu le commencement des belles aventures."
Il fit alors désarmer le chevalier, qui resta en sa cotte de soie
vermeille ; puis il lui tendit un manteau vermeil qu'il portait sur
son épaule, tout de soie, et fourré en dedans de blanche
hermine.
Quand il l'eut ainsi vêtu, il lui dit : "Suivez-moi, sire
chevalier." Il le mena tout droit au Siège Périlleux,
auprès duquel était assis Lancelot et souleva le drap de
soie que les trois cousins y avaient mis. On vit l'inscription, qui disait
maintenant : C'EST ICI LE SIÈGE DE GALAAD. Le prud'homme reconnut
le nom de Galaad et l'appela si haut que tous purent l'entendre :
"Sire chevalier, asseyez-vous ici, car c'est votre place." Le
chevalier s'assit tranquillement et dit au prud'homme : "Vous
pouvez vous en retourner, maintenant que vous avez fait ce qui vous fut
ordonné. Saluez pour moi tous ceux de la sainte demeure, et mon
oncle le roi Pellés, et mon aïeul le riche roi pêcheur.
Dites-leur que j'irai les voir dès que j'en aurai loisir."
Le prud'homme, au moment de s'en aller, recommanda à Dieu le roi
Arthur et tous les barons. Quand ils voulurent savoir qui il était,
il ne satisfit pas leur curiosité, mais répondit franchement
qu'il ne le dirait point, puisqu'ils l'apprendraient le jour venu s'ils
osaient le demander alors. Il alla à la maîtresse porte,
qui était close, l'ouvrit et descendit en la cour ; quinze chevaliers
et écuyers, qui étaient venus avec lui, l'y attendaient.
Il monta en selle et s'éloigna, en sorte que pour cette fois on
n'en sut pas davantage sur lui.
Lorsque ceux de la salle virent le chevalier assis au siège que
tant de prud'hommes avaient redouté et où étaient
arrivées déjà tant d'aventures, ils s'en émerveillèrent
fort. Le nouveau venu était si jeune qu'une telle faveur ne pouvait
lui être accordée que par la volonté de Notre Seigneur.
La joie fut grande ; on fit honneur au chevalier, pensant que c'était
celui qui devait accomplir les mystères du saint Graal, ainsi qu'on
pouvait le connaître par l'épreuve du Siège où
jamais homme ne s'était assis, avant lui, qu'il ne lui arrivât
quelque malheur. Ils le suivirent et l'honorèrent de leur mieux,
le tenant pour maître et seigneur sur tous ceux de la Table ronde.
Et Lancelot, qui le regardait avec grande joie et admiration, reconnut
celui qu'il avait fait chevalier ; il le traita avec beaucoup de
respect, et le mit sur maint sujet, lui demandant de dire quelque chose
de lui-même. Le jeune chevalier, qui l'avait reconnu et n'osait
refuser, répondit à plusieurs questions. Mais Bohort, plus
joyeux que tout autre et sachant bien que c'était Galaad, fils
de Lancelot, dit à son frère Lyonnel : "Beau frère,
savez-vous qui est ce chevalier assis au Siège Périlleux ?
– Je ne le sais pas très bien, fit Lyonnel, sinon que
c'est celui que Lancelot adouba de sa main aujourd'hui. Et c'est celui
dont nous avons tant parlé, vous et moi, l'enfant que messire Lancelot
eut de la fille du roi Pêcheur. – Vous dites vrai, reprit
Bohort, c'est lui, notre proche cousin. Réjouissons-nous car il
est certain qu'il fera choses plus grandes que ne fit jamais chevalier,
et il a déjà commencé."
Ainsi parlaient les deux frères, et ainsi tous les autres barons.
La nouvelle courut si bien en amont et en aval, que la rReine, qui mangeait
en ses appartements, en ouit parler par un valet qui lui dit : "Dame,
merveilles sont advenues céans. – Comment ? répondit-elle,
dis-le-moi. – Dame, un chevalier est venu à la cour,
qui a accompli l'aventure du Siège Périlleux, si jeune homme
que tous se demandent d'où put lui venir telle faveur. – C'est
une grande grâce, dit la reine ; car personne ne tenta encore
cet exploit qu'il ne fût mort ou estropié avant d'y réussir.
– Ah ! Dieu ! s'écrièrent les dames,
ce chevalier est né pour une haute fortune ! C'est, à
n'en pas douter, celui qui mettra fin aux aventures de la Grande-Bretagne
et par qui sera guéri le roi Méhaigné. – Bel
ami, dit la reine au valet, dis-moi comment il est fait ? – Dame,
c'est un des beaux chevaliers du monde. Mais il est jeune à merveille
et ressemble tant à Lancelot et à la parenté du roi
Ban que tous disent qu'il en est issu." La reine alors eut désir
de le voir plus encore qu'auparavant. Car, par ce qu'on lui a dit de la
ressemblance, elle pense bien que c'est Galaad, fils de Lancelot et de
la fille du roi Pêcheur, dont on lui avait fait maint conte ;
et c'était la chose qui l'avait le plus courroucée contre
Lancelot, si la faute en était bien à lui.
Quand le roi et les compagnons de la Table ronde eurent mangé,
ils se levèrent ; le roi vint au Siège Périlleux,
et, soulevant le drap de soie, vit le nom de Galaad, qu'il désirait
savoir.
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