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"Il convient encore qu'elle tienne bien à table. Avant d'aller s'asseoir, qu'elle se fasse voir par l'hôtel, donnant à entendre à chacun qu'elle est une maîtresse de maison accomplie ; qu'elle circule de tous côtés et s'assoie dernière, non sans s'être fait un peu attendre. Alors, autant que possible, qu'elle serve tous les convives, tranche et distribue le pain autour de soi ; qu'elle fasse honneur au voisin qui doit manger dans son écuelle, qu'elle lui présente une cuisse ou une aile, et tranche devant lui bœuf, porc ou poisson ou telles autres victuailles, et qu'elle ne lésine pas à faire repasser les mets à ceux qui le veulent bien souffrir. Qu'elle se garde bien de mouiller ses doigts dans les brouets jusqu'aux jointures ; qu'elle n'ait pas ses lèvres ointes d'ail, de graisse ou de soupe, et qu'elle ne se remplisse pas la bouche de trop gros morceaux. Qu'elle ne touche que du bout des doigts le morceau qu'elle devra tremper dans la sauce, que ce soit sauce verte, cameline ou jausse, et porte adroitement sa bouchée à ses lèvres de façon qu'il n'en tombe une goutte sur sa poitrine. |
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Elle doit encore boire gentiment sans répandre vin, sans quoi
on la tiendra pour gloutonne et mal élevée ; qu'elle ne
touche à son hanap tant qu'elle a la bouche pleine, qu'elle s'essuie
bien la bouche pour n'y pas laisser, au moins sur la lèvre de
dessous, de gouttelettes de graisses qui tachent le vin. Qu'elle boive
petit à petit, délicatement, bien qu'ayant grand soif,
qu'elle n'engoule pas tout d'une haleine coupe ou hanap plein, qu'elle
n'enfonce pas trop le bord du hanap dans sa bouche, comme font maintes
nourrices sans façon qui se versent le vin dans la gorge comme
dans une barrique et tant en engouffrent et en entonnent qu'elles en
perdent la raison. Qu'elle se garde bien de s'enivrer, car l'ivrogne
n'a de secret pour personne, et quand la femme a bu, elle n'a plus aucune
retenue ; elle bavarde, dit tout ce qu'elle pense et se livre à
tous. |
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Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le
Roman de la Rose, vers 1270, traduction d’André Mary
(Gallimard, |
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