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93. Revenons maintenant à notre sujet, et
disons qu’après ces événements le roi tint
une grande cour à Saumur en Anjou ; et je m’y trouvai et
je vous témoigne que ce fut la mieux ordonnée que j’aie
jamais vue. Car à la table du roi mangeait, auprès de lui,
le comte de Poitiers, qu’il avait fait nouveau chevalier à
la Saint-Jean ; et après le comte de Poitiers mangeait le comte
Jean de Dreux, qu'il avait aussi fait nouveau chevalier ; après
le comte de Dreux mangeait le comte de La Marche ; après le comte
de La Marche le bon comte Pierre de Bretagne. Et devant la table du roi,
en face du comte de Dreux, mangeait messire le roi de Navarre, en cotte
et manteau de satin, bien paré d'une ceinture, d'une agrafe et
un chapeau d'or ; et je tranchais sa viande devant lui. 94. Devant
le roi servait à manger le comte d'Artois, son frère ;
devant le roi tranchait la viande, avec le couteau, le bon comte Jean
de Soissons. Pour garder la table du roi, il y avait messire Humbert
de Beaujeu, qui fut depuis connétable de France, et messire Enguerran
de Coucy et messire Archambaut de Bourbon ; derrière ces trois
seigneurs il y avait bien trente de leurs chevaliers, en cottes de drap
de soie, pour les garder ; et derrière ces chevaliers il y avait
une grande quantité de sergents vêtus aux armes du comte
de Poitiers appliquées sur taffetas. Le roi avait revêtu
une cotte de drap bleu, et un surcot et un manteau de satin rouge fourré
d'hermine, avec un chapeau de coton sur la tête, qui lui allait
très mal parce qu'il était alors jeune homme. 95. Le roi
donna cette fête dans les halles de Saumur ; et l'on disait que
le grand roi Henri d'Angleterre les avait fait bâtir pour donner
ces grandes fêtes ; et ces halles sont bâties à la
manière des cloîtres des moines blancs ; mais je crois qu'il
n'y en a, et il s'en faut de beaucoup, aucun d'aussi grand. Et je vous
dirai pourquoi il me le semble, car le long du mur du cloître où
mangeait le roi, et il était entouré de chevaliers et de
sergents qui tenaient beaucoup de place, mangeaient à une table
vingt archevêques ou évêques ; et encore après
les évêques et les archevêques mangeait à côté
de cette table la reine Blanche, sa mère, au bout du cloître,
du côté où le roi ne mangeait pas. 96. Le service
de la reine était assuré par le comte de Boulogne, qui
fut depuis roi de Portugal, et le bon comte Hugues de Saint-Pol, et un
Allemand âgé de dix-huit ans, dont on disait qu'il était
fils de sainte Élisabeth de Thuringe ; on disait que la reine
Blanche lui baisait le front par dévotion, en pensant que sa mère
le lui avait bien souvent baisé. |
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Joinville, Vie de Saint Louis,
1309, traduction de Jacques Monfrin (Classiques Garnier, 1995, p. 47-51) |
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