L'artisanat textile flamand : bans échevinaux à Douai
(seconde moitié du XIIIe siècle)
  Alors que la plupart des activités artisanales urbaines ont pour débouché le marché local, la ville et sa campagne environnante, l'industrie drapière flamande, productrice de draps de grande qualité, est tournée dès le début du XIIIe siècle vers le commerce à longue distance : Italie, France, Espagne et par l'intermédiaire des marchands italiens, vénitiens ou génois, les pays de l'Adriatique et l'Orient. Cette industrie est, d'autre part, caractérisée par une très grande spécialisation des opérations : triage, filage, ourdissage, tissage, teinture et opérations d'apprêt : foulage, tendage, lainage, etc. G. de Poerck a pu recenser plus de 30 intervenants différents dans la fabrication d'un drap. Cette atomisation du travail est une garantie de qualité mais, surtout, elle permet à un petit nombre de détenteurs de capitaux, tel Jean Boinebroke à Douai, de dominer l'ensemble de la production. Ces marchands qui ont accaparé le marché de la laine anglaise et celui du commerce des draps à longue distance et ces entrepreneurs drapiers qui "font faire draps" et tendent à contrôler toute la chaîne de production, accaparent aussi le pouvoir urbain par l'intermédiaire de l'échevinage. Cette mainmise économique et politique d'un petit nombre sur l'ensemble de la population, mais aussi la compétition entre les divers types d'entrepreneurs sont un facteur d'agitation sociale. L 'histoire de la draperie flamande au XIIIe siècle et au XIVe siècle est émaillée de "takehans", émeutes, grèves dans lesquelles la part des drapiers est importante.
Douai est l'une des cinq grandes villes drapières flamandes. Bâtie sur la Scarpe à la frontière de l'Artois, son importance stratégique lui vaut d'être pendant presque trois siècles le théâtre d'une lutte d'influence acharnée entre le roi de France et son vassal, le comte de Flandre. La prospérité économique de la ville, qui ne fut guère affectée par les conflits politiques, repose sur la vitalité et la richesse de sa bourgeoisie commerçante et sur la qualité de son industrie drapière. La commune de Douai jouit, dès avant 1188, d'une large autonomie municipale. L'échevinage, dont les fonctions sont tout à la fois de justice, de police et d'administration, légifère au moyens de bans. Les premiers règlements connus concernant l'industrie textile datent de 1229, mais la période de plus grande activité de l'échevinage en matière de draperie est le milieu du XIII e siècle : plus de 30 bans, dont certains sont très longs, touchant tous les aspects de la draperie. Si cet ensemble fut un peu remanié et complété vers 1276-1280, puis au tournant du XIVe siècle, il resta la base de la législation du métier de la draperie douaisienne au Moyen Âge. Pour garder leur clientèle, l'un des premiers soucis des marchands drapiers de Douai, comme d'autres villes drapières, fut de produire des draps d'une qualité toujours égale. C'est par l'intermédiaire de l'échevinage et de son activité législative qu'ils étendent à tous les artisans de la ville et de la banlieue les mêmes principes de fabrication.
L'un des bans réglementant les étapes de la production concerne l'ourdissage (texte a). Cette opération, qui consiste à réunir les fils de chaîne avant le tissage, est une des étapes clés de la fabrication du drap : la qualité des fils de chaîne conditionne la qualité du drap fini. Les bans échevinaux fixent aussi les conditions d'embauche et les horaires de travail journalier des salariés, de ceux qui, faute de moyens, doivent louer leur force de travail et dépendent de l'embauche (texte b). La désignation d'une place d'embauche est d'autant plus nécessaire qu'il existe un réel marché du travail, c'est-à-dire une offre et une demande de main-d'ouvre importantes mais élastiques. Cette publicité, cette délimitation de l'espace a pour but de faciliter la tâche aux demandeurs de bras mais aussi de contrôler les conditions d'embauche, salaires et durée du contrat. Le règlement de 1299 (texte c), plus tardif que les autres, interdit que les salariés travaillent pour plusieurs patrons et à plusieurs tâches dans une même journée. Une telle mesure, prise à un moment de resserrement du marché, montre bien qu'il existe, dans la réalité, une souplesse dans les spécialisations des salariés et que l'un des moyens pour les salariés d'accroître leurs gains est d'outrepasser les horaires imposés. Les entrepreneurs en teinturerie, plus fortunés que les autres métiers de la draperie, ont joué le rôle d'intermédiaires donneurs de travail entre les drapiers et les autres artisans, tisserands, pareurs, etc. À Douai, en janvier 1245, en réponse à une émeute avec grève opposant les tisserands et les donneurs d'ouvrage, un ban échevinal avait interdit les coalitions de petits patrons. Trois ans plus tard (texte d), ce sont les associations de drapiers et teinturiers qui sont proscrites. L'un des principaux dangers d'une telle association ne serait-il pas de créer, par une situation de monopole, une trop forte pression économique sur les petits patrons et d'augmenter encore les risques d'émeutes ?
L'exercice de certains métiers n'est pas sans poser de graves problèmes de pollution. C'est le cas des pelletiers, c'est aussi le cas des teinturiers. La concentration de l'industrie le long de la Scarpe et de ses canaux pose de réels problèmes d'hygiène. Preuve en est le conflit qui, dès 1220, avait opposé les chanoines de la collégiale Saint-Amé et les teinturiers au sujet d'un des moulins de la collégiale situé en aval des ateliers de ces derniers. L'échevinage, à son tour, tente de réglementer le dépôt des résidus de l'industrie drapière comme celui des particuliers (texte e). Mais, malgré la lourdeur des peines prévues, quelle efficacité peuvent avoir des règlements qui ne proposent pas de mesures concrètes pour résoudre ce problème ?
    
 
 

Ban échevinal sur le tissage et l'ourdissage des draps, 1250 environ

Sachent tous que tel est le ban et l'assise de la draperie de Douai :
C'est à savoir qu'on fasse tous les draps blancs d'une trame et d'un étaim. Et on peut, si on veut, tirer l'étaim de la trame.
Que nul ne tisse en drap blanc de muison qui ne soit d'étaim, sous peine du forfait de 100 sous.
Qu'on fasse tous les draps teints, cains, fleurs de vèce et tous autres draps teints de telle manière que l'étaim soit tiré de la trame. Et qui ferait ou ferait faire autrement. tomberait au forfait de 100 sous.
Que ni homme ni femme ne soit assez hardi pour commencer à faire des draps, couvertures ou tiretaines, avant d'avoir juré qu'il fera de la bonne et loyale draperie conforme aux bans. Et ceux qui feraient autrement, tomberaient au forfait de 100 sous. Et si quelqu'un connaît un homme ou une femme qui commence le travail avant d'avoir juré, il doit le dire aux esgardeurs sur son serment.
Que nul homme ou femme ne soit assez hardi pour avoir une clavière qui ne soit droite et loyale et marquée de la marque de la ville. Et que chaque clavière ait 5 aunes et son cordon 1 quartier. Et quiconque aura une clavière qui ne sera ni droite ni loyale ni marquée de la marque de la ville, tombera à 50 livres et sera banni un an de la draperie.
Qu'aucun homme ou femme ne soit assez hardi pour ourdir un drap ou une couverture qui ne soit à la droite muison et à la droite assise de la ville, sous peine du même forfait s'il avérait qu'il l'a fait faire sciemment.
Que ni homme ni femme ne soit assez hardi pour ourdir un drap ou une couverture avant d'avoir juré aux esgardeurs de la draperie qu'il ourdira bien et loyalement à la manière de la ville et qu'il n'ourdira pas en clavière qui ne soit pas droite et loyale et marquée de la marque de la ville et mise en l'écrit des esgardeurs. Et celui qui ourdirait autrement, tomberait au forfait de 50 livres et serait banni un an de son métier.
Que nul ourdisseur ou ourdisseuse, ni homme ni femme, ne soit assez hardi pour ourdir drap ou couverture d'homme ou de femme qui ne sont pas bourgeois ou bourgeoise de la ville, sous peine du même forfait à moins que ce soit par le conseil et le congé des échevins, en la halle.
On doit ourdir tous les draps de 42 aunes de fil au moins. Les draps cains et les draps teints doivent être ourdis à 8 loiens au moins, soit 1600 fils pour les 8 loiens, ils doivent avoir 3 aunes de large en ros au moins, à 3 ros près de plus ou de moins. Et les draps blancs doivent être ourdis à 10 loiens moins 40 fils au moins soit 2000 moins 40 fils et avoir 3 aunes et un quartier de large en ros au moins à 3 ros près de plus ou de moins.
Que nul oudisseur ni ourdisseuse, homme ou femme, ne soit assez hardi pour ôter le drap ou la couverture de la clavière s'il n'a pas ourdi pleinement la muison et le bon compte à moins qu'il ne le fasse par le conseil des esgardeurs de la draperie, sous peine du forfait de 100 sous.
On doit ourdir toutes les couvertures teintes à 8 loiens au moins. Celui qui ourdirait de faux draps tomberait au forfait de 50 livres et serait banni 5 ans de son métier.
Que nul homme ou femme ne soit assez hardi pour ourdir de la même manière son drap ou sa couverture, sous peine du forfait de 50 livres et du bannissement d'un an de la ville.
Qu'aucun homme ou femme n'ourdisse de trame en drap ou en couverture, s'il ne le fait par le congé des esgardeurs de la draperie. Et l'autorisation que les esgardeurs peuvent donner, est d'ourdir 10 fils de trame sur le dernier drap d'une sorte. Et les ourdisseurs qui ourdiraient plus tomberaient au forfait de 10 livres. Et le telier qui le tisserait tomberait à ce même forfait.
L'autorisation que peuvent donner les esgardeurs pour les couvertures est de 50 fils de trame aux gens qui font 2 sacs de laine par an ou plus. Et celui qui ourdirait plus que 50 fils de trame à la couverture, devrait 10 livres. Et le telier qui le tisserait, ayerait ce même forfait.
Que nul ourdisseur ou ourdisseuse n'habite avec homme ou femme qui fasse laine sous peine du forfait de 100 sous et que nul homme ou femme qui fasse laine ne soit assez hardi pour l'héberger sous peine du même forfait.
Que nul ne fasse de couverture à orières qui ne soit tout d'un étaim sous peine du forfait de 100 sous.
S'il arrivait qu'un homme ou une femme avait un surplus d'étaim tout d'une même qualité ou de trame tout d'une même qualité, ils peuvent bien chercher un fil équivalent et faire couverture à listel. Et qui ferait autrement, tomberait au forfait de 100 sous.
Qu'aucun homme ou femme n'ourdisse de couverture plus longue que 34 aunes de fil sous peine du forfait de 100 sous.
Les ourdisseurs et ourdisseuses qui ourdiraient moins les draps et couvertures que ce qui est dit ici, tomberaient au forfait de 10 livres et seraient bannis de leur métier.
Que nul telier ne soit assez hardi pour commencer à tisser drap ou couverture s'il n'y a ourdi le bon compte sous peine du forfait de 100 sous et du bannissement du métier.
Que nul telier ni personne ne soit assez hardi pour aller contre la droite assise de la ville sous peine du forfait de 50 livres et sous peine du bannissement de la ville.


Conditions de travail des ouvriers tisserands, 1250 environ

On fait le ban que nul telier ni aucun autre ne soit assez hardi pour louer un ouvrier tisserand sans s'assembler en place à la Neuve Ville ou ailleurs dedans le pouvoir de cette ville sous peine de 20 sous de forfait. Et quiconque se louerait sans s'assembler devrait 10 sous.
Que les ouvriers commencent leur travail quand la première messe sera chantée à Saint-Pierre ; et qu'ils cessent le travail quand les esbouresses le cesseront. Le samedi et les veilles de fête, ils cessent le travail à none sous peine de 20 sous.


Conditions de travail des laineurs, tondeurs et cotonneurs, mars 1299

On fait le ban que désormais nul maître ou valet tondeur, cotonneur ou laneur ni aucun autre du métier ne travaille le dimanche et les jours de fête sous peine de 20 sous de forfait.
Qu'aucun cotonneur ne puisse cotonner plus que ce qui appartient à sa journée, c'est-à-dire un drap par jour sous peine du même forfait. De plus, les jours où il cotonnera, aucun ne pourra faire d'autre travail ni travailler plus que ce qui appartient à la journée. Et durant ce même jour et dans ce même hôtel, il peut gagner 4 deniers mais sans aller travailler ailleurs sous peine du forfait de 20 sous.
De même, les laineurs ne peuvent que lainer à l'exclusion de tout autre travail qui appartienne au métier mais ils pourront lainer autant qu'il leur sera possible dans la journée sous peine du forfait de 20 sous.
Que ceux qui auront du travail pour le métier ne s'amusent point dans les rues sous peine de 20 sous. Et ceux qui n'auront pas de travail et qui veulent aller dans la rue se présentent devant la maison de Bernard de Goy et nulle part ailleurs sous peine du même forfait.
Ce règlement fut fait en l'an de l'incarnation Notre-Seigneur 1298, au mois de mars.


Interdiction des associations commerciales entre marchands de drap et teinturiers, décembre 1248

On fait le ban que nul marchand de drap, drapier ou homme ayant part à l'activité de drapier ne soit assez hardi, en toute la ville, pour avoir part ou compagnie avec un teinturier ou à toute autre manière de teinture, aussi longtemps qu'il voudra être marchand, drapier ou avoir compagnie avec un drapier.
Qu'aucun teinturier n'ait part ou compagnie avec un marchand ou un drapier pour la teinture.
Et celui qui outrepasserait, tomberait au forfait de 50 livres et sera banni 5 ans de la ville.
Et quiconque chercherait par un artifice ou une ruse à aller à rencontre de ce ban, tomberait au même forfait.
Et ce ban doit durer de la prochaine fête saint Jean-Baptiste jusque à 5 ans. Ce fut fait et crié en l'an 1248, au mois de décembre.


Activité artisanale et pollution à Douai, vers 1250

On fait le ban que personne ne soit assez hardi pour vider garance en la rivière, sinon dans une corbeille.
Que l'on porte les flaels dans des lieux tels que ni la rue ni la rivière n'en soient grevées. Et si on les met dans la rue, qu'on les fasse vider à la demande des connétables, sous peine de 10 livres de forfait et du bannissement de la ville.
Que les teinturiers de guède ne puissent vider leurs cuves en les tournant, mais qu'ils vident le clair, s'ils veulent, dans la rivière et portent la pâtée dans un lieu tel que la rivière n'en soit pas grevée, sous peine du forfait de 10 livres et du bannissement de la ville.
Que nul foulon ne soit assez hardi pour jeter ses cendres de tourbe dans la rivière sous peine du forfait de 10 livres et du bannissement de la ville.
Que personne, ni les uns ni les autres, ne soit assez hardi pour jeter les détritus de son hôtel en la rivière de jour sous peine du forfait de 40 sous et de nuit sur celui de 100 sous.
Les guetteurs ont le tiers de ces forfaits.

 
 

G. Espinas, H. Pirenne, Recueil de documents relatifs à l'histoire de l'industrie drapière en Flandre, Bruxelles,1924, t. lI. Adaptation de l'ancien français.