Établissements de Rouen (1204)
  Le texte connu sous le nom des "établissements de Rouen" est très célèbre. Au Moyen Âge, ce fut la base du statut communal de presque toutes les villes de Normandie. En outre, le texte fut accordé très tôt à la ville de La Rochelle (en 1199) qui transmit le texte à Saintes (en 1199), à l'île d'Oléron (en 1205) – transmettant à son tour à l'île de Ré – à Bayonne (en 1215) et Tours (en 1461). Niort, Saint-Jean-d'Angély, Angoulême et Poitiers reçurent directement les Établissements de Rouen en 1204, puis Niort les transmit à Cognac en 1215. Bordeaux et Saint-Émilion, en revanche, ne fonctionnaient pas d'après les Établissements de Rouen.
Les 28 articles traduits ci-dessous furent accordés à Falaise et Pont-Audemer par Philippe Auguste en 1204 et transcrits dans le registre de chancellerie du roi. Les Établissements de Rouen dans leur version la plus développée comptent 55 articles. Les articles suivants traitent de l'ost (29), de la jouissance des franchises de la ville obtenue au bout d'un an de séjour dans la ville (30), du guet (41). D'autre part, des cas de justice sont envisagés : les adultères (32), les coupables de calomnie (36), de parjure (37), les dettes (39). Le reste des articles envisage l'action des jurés. L 'article 40 précise que "le maire doit garder les clefs de la ville et ne les confier qu'avec l'assentiment des pairs en mains sûres".
Rouen doit son importance initiale au commerce. Les plus anciens privilèges concédés à l'ensemble des habitants de Rouen remonteraient au règne d'Henri Ier ( 1106-1135). Un acte de 1144 énumère les libertés des personnes et de leurs biens, des privilèges de juridiction, des dispositions fiscales et des privilèges commerciaux. Mais cet acte ne décrit pas d'organisation communale. Ces privilèges, encore augmentés, furent confirmés par Henri II en 1174. Les Établissements de Rouen doivent dater de l'année 1180 environ. En 1199, Jean sans Terre confirma encore les franchises et privilèges de Rouen. Après la prise de la ville en 1204, Philippe Auguste confirma une partie des privilèges de Rouen qu'il avait déjà accordés à Falaise peu de temps auparavant. Il avait accordé en même temps aux bourgeois de Falaise l'exemption de péages "sur toute sa terre sauf Mantes", pour tous leurs biens et leurs marchandises.
    
 
 

Ceci est un établissement de la commune de Rouen, de Falaise et de Pont-Audemer.
1. S'il faut choisir un maire à Rouen ou à Falaise, les cent qui constituent les pairs éliront trois prud'hommes de la cité, qu'ils présenteront au roi, pour qu'il y choisisse le maire qu'il lui plaira.
2. Sur les cent susdits seront élues 24 personnes, du consentement des cent pairs, ces 24 seront renouvelées chaque année ; parmi elles, douze seront nommées échevins, et les 12 autres conseillers. Ces 24, au début de leur mandat, prêteront serment de respecter les droits de la sainte Église, la fidélité au roi et la justice ; elles jureront aussi qu'elles jugeront selon leur conscience, et si le maire impose sur une chose le secret, elles garderont le secret. Quiconque le découvrira sera déposé de son office et restera à la merci de la commune.
3. Le maire et les 12 échevins se réuniront deux fois par semaine pour les affaires de la cité et du château de Falaise ; et s'ils ont des hésitations dans une affaire, ils feront appel au nombre qu'ils voudront des 12 conseillers, pour avoir leur avis dessus. Les 12 conseillers se réuniront avec le maire et les échevins chaque samedi ; et chaque quinzaine, le samedi, de même les cent pairs.
4. Quiconque des personnes susdites n'est pas présent avec les autres au jour dit, avant que prime ne soit chantée, sans réquisition, s'il est échevin payera 5 sous. pour les affaires de la cité de Rouen ou du château de Falaise, et le conseiller absent 3 s., et les pairs 2 s., sauf s'il a fait parvenir une note d'excuse la veille au maire. Et si l'un d'eux s'en va sans permission du maire de rassemblée, il paiera autant que s'il n'est pas venu à l'heure de prime. Si le maire a besoin de l'un d'entre eux pendant un certain temps, si l'un d'eux ne vient pas quand on le lui demande, il paiera ramende sauf s'il produit des excuses valables.
5. Si l'un des 12 échevins veut s'en aller en Angleterre, dans une région lointaine ou en pèlerinage, il obtiendra la permission du maire et des autres échevins, quand ils seront réunis le samedi, et ils éliront aussitôt en commun celui qui le remplacera jusqu'à son retour.
6. Quand le maire et les échevins siègent en échevinage, et quand le maire parle, si quelqu'un interrompt le maire ou trouble celui dont le maire souhaite avoir l'avis, le maire lui ordonnera de se taire, et si ensuite il trouble les idées de celui qui doit parler, il paiera 12 d., s'il fait partie des jurés de la commune dont 8 seront pour la cité de Rouen ou le château de Falaise, et 4 pour les clercs et les sergents.
7. Si l'un des échevins, des conseillers et des autres pairs, les jours dits, après s'être assis pour rendre justice, laisse son siège sans permission du maire, pour raison de conseil, il paiera 12 d., dont 8 seront pour la ville de Rouen et 4 aux clercs et sergents.
8. Si le maire et les échevins siègent en échevinage et que quelqu'un dise des injures à un autre en pleine audience, il sera à la merci du maire et des échevins qui apprécieront la gravité du délit et les conditions de récidive,
9. Si le maire viole les Établissements de la commune, sa condamnation sera le double de celle qui frapperait un échevin, car il doit donner l'exemple de l'observation du droit et de l'équité et du maintien des Établissements.
10. Si quelqu'un retrouve quelque chose qui lui appartienne sur un voleur ou un faussaire arrêté et convaincu à Rouen ou dans le château de Falaise, et qu'il puisse prouver par loyal témoignage de ses voisins qu'il est propriétaire de ce qu'il réclame, il lui en sera fait restitution et le voleur ou le faussaire sera jugé par la commune et mis au pilori pour que tous le voient et le connaissent, et s'il doit subir la marque, qu'il soit marqué ; s'il a forfait un membre ou plus, l'accusé et ses biens mobiliers seront livrés aux gens de justice du roi pour qu'il en soit fait justice.
11. Si un juré de commune tue son cojuré, et s'il est ensuite fugitif ou convaincu, sa maison sera abattue et s'il peut être pris, il sera livré avec ses biens meubles à la justice du roi.
12. Si un juré estropie de quelque membre son cojuré, le plaid et ramende appartiendront au roi, et raccusé lui-même sera à la merci de la commune, parce que ce sera son cojuré qu'il aura estropié.
13. Si quelqu'un a fait une sédition dans la ville de Rouen et que 2 des 24 jurés l'aient vu ; accusé, il sera convaincu par leur parole, les jurés étant crus sur leur simple parole, parce qu'au commencement de leur échevinage ils ont juré de dire la vérité sur ce qu'ils entendraient et verraient. Si deux des autres partis l'ont vu, raccusé sera convaincu par leur témoignage sous serment. Il sera à la merci du maire et des échevins et amendera son crime à leur appréciation, selon sa gravité et les conditions de récidive.
14. Si quelqu'un en injurie un autre dans la ville, soit dans une rue, soit dans une maison, il sera convaincu par le témoignage sans serment de 2 des 100 pairs, et amendera son injure à la merci du maire et des échevins. selon la gravité du délit et son habitude d'injurier. Si l'injurié n'a pas de témoins parmi les pairs, l'affaire sera jugée suivant la loi de la terre.
15. Si quelqu'un a été mis au pilori, non pour vol, mais pour infraction aux Établissements de la commune, et que quelqu'un le lui reproche pour lui faire honte devant ses cojurés ou devant d'autres hommes, celui-ci paiera 20 s., dont l'injurié aura 5 sous et dont 15 seront attribués à la ville. Et si celui qui a injurié ne veut ou ne peut payer les 20 s., il sera mis au pilori.
16. La femme convaincue d'être querelleuse ou médisante sera attachée par une corde sous les aisselles et trois fois plongée dans l'eau ; si un homme en fait le reproche, il paiera 10 s., si c'est une femme, elle paiera 10 s. ou sera plongée dans l'eau.
17. Si quelqu'un qui ne fait pas partie de la commune forfait à quelque juré de la commune, il sera sommé d'amender ce délit ; s'il refuse, il sera défendu aux jurés d'avoir avec lui des relations, de vente, de prêt, d'achat, de logement, sauf en cas de présence à Rouen ou à Falaise du roi ou de son fils ou d'assise. Et si, dans ce cas, il refuse d'amender son délit, la commune le dénoncera à la justice royale et aidera son juré à poursuivre son droit. Si l'un des jurés contrevient à cette interdiction, il sera à la merci du maire et des échevins.
18. Si quelqu'un a déposé une plainte contre un homme coupable envers lui d'un méfait et ensuite refuse qu'il lui soit fait droit par jugement du maire et des échevins, il sera arrêté et devra fournir gage et garants et jurer que pour ce méfait, il ne fera pas le mal à celui dont il s'était plaint. Si dans la suite, pour le même méfait, il lui fait quelque mal, il sera jugé comme parjure.
19. Si l'un des jurés de la commune mis en merci pour un délit commis par lui nous fait solliciter par quelqu'un, sauf le cas où ce serait par ordre du roi, sa condamnation sera doublée, car nous ne voulons pas encourir la malveillance des bourgeois puissants.
20. Si quelqu'un se prétend notre juré sans que nous en soyons certain, il prouvera la vérité de son allégation par le témoignage de deux jurés.
21. Si un clerc ou un chevalier, débiteur de quelqu'un de la cité de Rouen ou du château de Falaise, décline la juridiction du maire et des pairs, on fera défense à quiconque d'avoir avec lui des relations de vente, d'achat ou de logement, sauf en cas de présence à Rouen ou à Falaise du roi ou de son fils, ou d'assise. Si quelqu'un contrevient à cette interdiction, il paiera le créancier et sera à la merci du maire et de la commune. Si le débiteur décline toute juridiction, la commune aidera son juré à poursuivre son droit.
22. S'il y a contestation dans la commune en matière de dette, de contrat ou de marché quelconque, elle sera terminée par le témoignage et le record de deux des 24 jurés qui seront crus sur leur seule parole, parce qu'ils ont prêté serment au commencement de leur échevinage. Et si, lorsqu'ils auront achevé leur année d'échevinage et qu'ils auront été déposés, il y a contestation au sujet de la dette, de prêt de contrat ou de quelque autre acte fait par devant eux, cette contestation sera terminée par leur serment ; si un seul des 24 porte témoignage avec un ou plusieurs des autres pairs, ce témoignage sous serment terminera la contestation. S'il n 'y a aucun des 100 pairs pour témoins, l'affaire sera jugée suivant la loi de la terre. Si l'action n'est que de la valeur de 10 s. ou moins, le témoignage de pairs sans serment suffira pour la terminer.
23. Si quelqu'un revendique une terre sur un autre, le demandeur devra donner gage et caution pour poursuivre son action ; et si plus tard, après reconnaissance faite, le demandeur est convaincu par là de fausse action, il sera en merci du maire et des échevins de 59 s. angevins.
24. Si un justicier évoque la connaissance d'une affaire en matière de terre, elle lui sera concédée ; mais s'il ne fait pas droit au demandeur dans les 15 jours, sauf le cas d'excuse légitime connue du maire et des échevins, la commune jugera.
25. Si un justicier évoque la connaissance d'une affaire en matière de dette, elle lui sera octroyée, et il devra faire droit au plaignant dans les 15 jours, sinon la commune jugera, à moins que celui qui tient la cour n'ait excuse légitime connue du maire et des échevins.
26. Si quelqu'un a contracté vis-à-vis d'un autre une dette qu'il ne puisse ou ne veuille acquitter, il sera donné sur ses biens au créancier de quoi se désintéresser, si les biens suffisent. Si le débiteur n'a pas de quoi payer, il sera banni de la ville de Rouen ou du château de Falaise jusqu'à ce qu'il donne satisfaction au maire et à son créancier. Et s'il est rencontré dans la ville de Rouen ou le château de Falaise avant d'avoir donné satisfaction, il sera détenu dans la prison de la commune jusqu'à ce qu'il ait payé, par lui-même ou par ses amis, 100 s. pour sa libération et juré de ne plus rentrer dans la ville sans avoir auparavant donné satisfaction au maire et à son créancier.
27. Si un étranger intente une action dans la commune au sujet d'une créance qu'il a sur un juré, le seigneur du plaignant en aura la connaissance s'il la revendique, mais s'il ne fait pas droit au plaignant dans les 3 jours, la commune le retiendra.
28. Si la commune par ordre du roi ou de sa justice, doit se mettre en route, le maire et les échevins pourvoiront à désigner ceux qui devront rester pour garder la ville de Rouen. Celui qui, après l'heure indiquée pour le départ, sera trouvé dans la ville, sera convaincu par ceux qui sont restés à la garde de la ville et sera à la merci du roi, et de plus à la merci de la commune en ce qui touche la mise à bas de sa maison, ou pour une amende de 100 s., dans le cas où il n'aurait pas de maison. Si, lorsque la commune est en marche, quelqu'un s'en éloigne, pour se loger ou pour une autre cause, sans permission du maire et sans excuse personnelle, il en sera de même.

 
 

Actes de Philippe Auguste, t. Il, n° 789, p. 362-367. Traduction du latin, à l'aide de la traduction de A. Giry.