Charte de la ville de Troyes (septembre 1230)
  Les villes des foires de Champagne étaient très riches. Les comtes de Champagne surent profiter de cette richesse. En même temps, ils accordèrent aux bourgeois de Troyes, Lagny, Bar-sur-Aube et Provins des libertés compatibles avec leurs propres intérêts. La mise en place des institutions urbaines fut cependant très lente. Elle fut d'abord entravée par l'existence dans ces villes d'une classe de nobles importante. De plus, les foires de Champagne ne contribuèrent pas à la mise en place rapide d'institutions urbaines fortes. Car la puissante organisation des foires était la rivale d'une éventuelle organisation municipale. C'est donc très tard que les chartes municipales furent octroyées par les comtes de Champagne à Troyes, Provins et Bar-sur-Aube. Les "bourgeois de Troyes" apparaissent auparavant au XIIe siècle, au détour de textes, mais on ne possède pas de charte de commune proprement dite avant 1230. Le texte ci-dessous montre nettement que le comte n'abdique presque aucune de ses prérogatives même si une municipalité est mise en place.
    
 
 

Moi, Thibaud comte palatin de Champagne et de Brie, fais savoir à tous ceux présents et à venir que je rends libres et francs tous mes hommes et mes femmes de Troyes de toutes autres "toltes" et tailles, que celles que je levais sur les hommes qui habitaient déjà là. Et sur les hommes et les femmes qui viendront habiter en la communauté de Troyes, je lèverai 6 deniers par livre sur leurs meubles, sauf les armes et les habits et leur mobilier.
Et il faut savoir que les pots où l'on met le vin et toute la vaisselle d'or ou d'argent seront taxés chaque année avec les autres biens mobiliers et j'aurai par livre sur les biens mobiliers 2 deniers par an.
Si l'un de mes hommes, ou de mes vassaux ou de ceux qui sont placés sous ma garde vient demeurer à Troyes, les bourgeois de Troyes ne pourront pas le retenir sauf avec mon assentiment et ma volonté.
Et s'il arrivait que l'un de mes hommes ou de mes vassaux ou de ceux qui sont sous ma garde vienne demeurer à Troyes et que cet homme ou cette femme affirmait qu'il n'appartient pas à mes villes, mes fiefs ou mes terres, il me reviendrait de l'y faire rester ou de l'en faire partir selon ma volonté. Et si je refusais, il obtiendrait un sauf-conduit, pour lui et ses biens, pour une durée de 15 jours.
Si l'un des habitants de la communauté de Troyes accepte de payer 20 L. pour l'année, il sera libéré du serment et de l'imposition pour cette année-Ià envers moi.
Je leur donne et octroye la prévôté et la justice de Troyes, de leurs terres et de leurs vignes qui sont dans le "finage" de Troyes, comme je les tenais le jour où ces lettres ont été prises, contre 300 L. de provinois, qu'ils me paieront tous les ans à la Pentecôte.
Par conséquent. le produit des amendes levées sur les hommes et les femmes de Troyes et sur les habitants dans les limites de la justice de Troyes appartiennent aux bourgeois de Troyes, ainsi que je les percevais auparavant.
Le produit des amendes levées sur les gens qui sont étrangers à la justice de Troyes appartiennent aux bourgeois de Troyes, jusqu'à 20 s., le surplus restant à moi.
Je garde les droits de justice sur le meurtre, le viol et le vol, partout où ces faits auront lieu.
Je garde aussi le champion vaincu, sur lequel je lèverai l'amende selon la coutume de Troyes.
Pour la "fausse mesure", les bourgeois de Troyes auront 20 s. et moi 40 s.
Je conserve la justice et la garde de mes églises, de mes chevaliers, de mes vassaux, de mes juifs de telle sorte que si un habitant de Troyes ou de la justice de la commune de Troyes commettait un forfait envers l'un d'eux – clercs, chevaliers, vassaux ou juifs – et que la plainte soit faite devant moi, je rendrais justice et l'amende me reviendrait. L'amende sera décidée selon la coutume de Troyes par le maire et les jurés de Troyes.
Il faut savoir que moi ou certains de mes gens éliront chaque année 13 hommes de la communauté de Troyes en bonne foi, et ces 13 personnes éliront l'une d'entre elles comme maire, chaque année, dans les quinze jours après que je les aurai nommées. Si elles ne respectent pas ce délai, j'élirai moi-même l'une des 13. Ces 13 personnes jureront sur les saints évangiles de garder et gouverner la ville et les affaires de la ville en toute bonne foi. Les actes des 12 personnes et du maire, qui seront faits en bonne foi, ne pourront être attaqués. Mais s'ils rendent un jugement ou une sentence insuffisante, le plaignant pourrait s'adresser à moi, selon les coutumes de Troyes, si ce n'est qu'il ne lui en coûtera rien et que ceux qui auront rendu jugement ou la sentence n'exigeront pas l'amende. Les 12 jurés et le maire lèveront les deniers de chacun, 6 d. par livre sur les biens meubles, comme il est dit ci-dessus, et 2 d. par livre sur les biens immobiliers, par le serment de ceux qui devront cet impôt. Si le maire ou les 12 jurés ou une partie d'entre eux jusqu'à 3 ou plus ont des soupçons sur l'un de ceux qui ont juré devoir payer 6 d. par livre et 2 d. par livre sur les biens immobiliers, ils pourront l'augmenter en leur conscience, si ce n'est que celui qui aura juré ne paiera pas l'amende. Ces deniers seront payés chaque année à la fête de saint André [30 novembre].
Tous ceux de la commune de Troyes pourront vendre et acheter leurs biens comme ils faisaient auparavant, et ils garderont leurs franchises et leurs usages comme auparavant. Si l'un d'entre eux voulait faire un procès à l'un des habitants de la commune de Troyes, je ne pourrais instrumenter le procès en dehors de Troyes, sauf s'il s'agit d'un cas me concernant personnellement, et la cause serait terminée selon les coutumes de Troyes.
J'aurai mon ost et ma chevauchée comme auparavant, si ce n'est que les hommes de plus de 60 ans n'iront pas ; mais s'ils le peuvent, ils enverront un remplaçant. Si je "semonce mon ost ou ma chevauchée" en temps de foire, les changeurs et les marchands qui travailleront à la foire pourront envoyer des remplaçants sans payer d'amende. Si quelqu'un ne venait pas à mon ost ou ma chevauchée, il payerait une amende. Et je promets que je ne semondrai pas mon ost et ma chevauchée pour les ennuyer, mais seulement parce que j'y serai obligé. Je veux que les chevaux nécessaires à la chevauchée non plus que les armes ne soient pris pour dépôts de garantie. Si moi ou mes gens avons besoin de chevaux ou de charrettes, on demandera au maire de Troyes qui louera ce qui est nécessaire et le loyer sera payé par mes terres me devant un cens. Si le cheval mourait, les 12 jurés et le maire de Troyes seraient remboursés sur le revenu de mes cens. Tous ceux de la communauté de Troyes qui auront 20 L. de revenu, auront une arbalète chez eux et 50 carreaux.
Les bourgeois de Troyes cuiront dans mes fours et moudront dans mes moulins au même titre que les autres ; s'il arrivait que mes fours et mes moulins à Troyes fussent insuffisants, ils cuiront et moudront selon ce qu'en décideront les 12 jurés et le maire, dans mes autres fours et moulins. Et quand fours et moulins seront en nombre suffisant selon ce qu'en décideront les 12 jurés et le maire, tous iront y cuire leur pain et moudre leur farine.
Si l'un des 13 élus était pris dans un procès, ou à la guerre ou excommunié à cause de la ville, les 12 jurés et le maire qui leur succéderont devront prendre l'affaire en mains, ainsi que leurs prédécesseurs l'avaient fait. Je ne pourrai pas ne pas intervenir si cela arrive. Si quelqu'un de la communauté de Troyes était emprisonné pour dettes quelque part, je serais tenu de le délivrer en payant une caution sur mes biens. S'il était emprisonné pour un autre motif, je serais tenu de l'aider et de le délivrer sur ma foi.
Si certains de ceux qui viendront habiter à Troyes veulent repartir, ils pourront s'en aller librement quand ils voudront, et ils auront de moi un sauf-conduit de 15 jours. Mes sergents et ceux qui gardent mes chartes ou celles de mes ancêtres pourront participer à la commune de Troyes ; s'ils refusent, ils resteront à mon service comme auparavant. J'ai juré de tenir toutes les clauses contenues dans cet acte, pour moi, mes héritiers perpétuellement. Et pour que cet acte soit sûr et stable, je l'ai fait sceller de mon sceau. Ce fut fait en l'an de grâce 1230, au mois de septembre.

 
 

Elizabeth Chapin, Les Villes de foires de Champagne des origines au début du XIVe siècle, Paris, Champion. 1937, p. 288 et p. 147. Traduit de l'ancien français.


    

1. "Fiévez".
2. Le finage correspond aux limites territoriales de la ville.
3. Cet article montre l'existence de duels judiciaires.
4. Dans une ville comme Troyes, où les foires avaient lieu, les procès pour falsification des mesures devaient être lucratifs, pour le comte et pour la ville.
5. C'est-à-dire des flèches.
6. "Mettre hors de ma main".
7. "En ma main".