Giacomo Casanova (1725-1798), auteur, Dux, 1789-1798.
BnF, département des Manuscrits, NAF 28604 (5) fol. 105v
Casanova multiplie les rencontres avec les célébrités. Au début de juillet 1760, il rencontre Voltaire à plusieurs reprises. Les entretiens commencent par un festival où les deux hommes rivalisent de brio, pour se terminer en désaccord. Casanova consigne aussitôt dans ses capitulaires le récit de ses visites, remarquable témoignage de la vie aux Délices, des dîners aux parties de trictrac avec le Père Adam ou aux propos de Voltaire, de M
me Denis, ou de visiteurs.
Transcription du texte :
« [Voltaire] Quel est le poète italien que vous aimez le plus ?
L'Arioste ; et je ne peux pas dire que je l'aime plus que les autres, car je n’aime que lui. Je les ai cependant lus tous. Quand j'ai lu, il y quinze ans, le mal que vous en dites, j'ai d'abord dit que vous vous rétracteriez quand vous l'auriez lu. […]
Ce fut dans ce moment-là que Voltaire m'étonna.
Il me récita par cœur les deux grands morceaux du trente-quatrième et du trente-cinquième chant de ce divin poète, où il parle de la conversation qu'Astolphe eut avec l'apôtre St Jean, sans jamais manquer un vers, sans prononcer un seul mot qui ne fût très exact en prosodie ; il m’en releva les beautés avec des réflexions de véritable grand homme. On n'aurait pu s'attendre à quelque chose davantage du plus sublime de tous les glossateurs italiens. Je l'ai écouté sans respirer, sans clignoter une seule fois, désirant en vain de le trouver en faute ; j'ai dit me tournant à la compagnie que j’étais excédé de surprise, et que j’informerai toute l’Italie de ma juste merveille.
Toute l'Europe, me dit-il, sera informée de moi-même de la très humble réparation que je dois au plus grand génie qu'elle ait produit.
Insatiable d'éloge, il me donna le lendemain sa traduction de la stance de l'Arioste
Quindi avvien che tra principi, e signori.
La voici :
Les papes, les césars apaisant leur querelle
Jurent sur l'Évangile une paix éternelle ;
Vous les voyez demain l'un de l'autre ennemis ;
C'était pour se tromper qu'ils s'étaient réunis :
Nul serment n'est gardé, nul accord n'est sincère ;
Quand la bouche a parlé, le cœur dit le contraire.
Du ciel qu'ils attestaient ils bravaient le courroux,
L'intérêt est le dieu qui les gouverne tous. » (
suite)