Pietro Metastasio (1698-1782)
Rod. Holzhalb, graveur ; Ferdinando Porta (1689-1767), peintre, 1748.
Burin (15 x 10 cm)
BnF, département de la Musique, fonds estampes Metastasio P. 001
© Bibliothèque nationale de France
« Me voilà dans la capitale de l'Autriche. [...] Je n'avais autre lettre qu'une du poète Migliavacca de Dresde qui me recommandait à l'illustre abbé Metastasio que je brûlais d'envie de connaître. Je la lui ai présentée le surlendemain, et dans une heure d'entretien je l'ai trouvé encore plus grand que ses ouvrages ne l'annoncent pour ce qui regarde l'érudition, et une modestie, que dans le commencement je n'ai pas crue naturelle ; mais je me suis vite, vite aperçu qu'elle était véritable lorsqu'elle disparaissait d'abord qu'il récitait quelque chose du sien, et qu'il en faisait observer les beautés lui-même. Je lui ai parlé de son précepteur Gravina, et il me dit cinq ou six stances, qu'il avait composées à sa mort, qui n'étaient pas imprimées, et je l'ai vu verser des larmes, attendri par la douceur de sa propre poésie. Après me les avoir récitées, il ajouta ces mots :
Ditemi il vero : se puo dir meglio ? (1)
Je lui ai répondu qu'il n'appartenait qu'à lui de croire cela impossible.
Je lui ai demandé si ses beaux vers lui coûtaient beaucoup de peine, et il me montra d'abord quatre ou cinq pages remplies de ratures pour avoir voulu réduire à la perfection quatorze vers. Il m'assura qu'il n'avait jamais pu en faire davantage dans un seul jour. Il me confirma une vérité que je savais que les vers qui coûtent le plus de peine à un poète sont ceux que les lecteurs non initiés pensent qu'il ne lui en ont coûté aucune. Je lui ai demandé quel était celui de ses opéras qu'il aimait le plus et il me dit que c'était son Attilio Regolo, et il ajouta :
Ma questo non vuol già dire che sia il migliore. (2)
Je lui ai dit qu'on avait traduit à Paris tous ses ouvrages en prose française, et que l'éditeur s'était ruiné, car il n'était pas possible de les lire, et que cela démontrait la force de sa belle poésie. Il me répondit qu'un autre sot s'était ruiné dans le siècle passé qui avait traduit en prose française l'Arioste, et il rit beaucoup de ceux qui soutiennent qu'un ouvrage en prose puisse avoir le droit d'être appelé poème. Pour ce qui regarde ses ariettes, il me dit qu’il n’en avait jamais écrit aucune sans la mettre en musique lui-même mais qu’ordinairement il ne montrait sa musique à personne ; et il rit beaucoup des Français qui croient qu’on puisse adapter des paroles à une musique faite d’avance. Il me porta une comparaison très philosophique :
– C'est, me dit-il, comme si on disait à un sculpteur : voilà un morceau de marbre, faite-moi une Vénus qui montre sa physionomie avant que vous ayez développé ses traits. » (Histoire de ma vie, I, p. 639-340.)

(1) Dite-moi la vérité : peut-on écrire mieux ?
(2) Mais cela ne veut pas dire que ce soit le meilleur.
 
 

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