Resté au service des Condé même après la mort du prince en 1686, la Bruyère vit à Versailles jusqu'à sa mort. Observateur attentif de la cour de Versailles, il note les détails de cette vie orchestrée par et pour Louis XIV. 9000 soldats, 5000 serviteurs, 4000 domestiques, 1000 nobles résident aussi à Versailles. Le rêve de tous les nobles est d’être là, même sans confort et sans chauffage ; vivre en province est une forme d’exil. Dans une attente fébrile, chacun espère être convié au lever, au coucher ou au souper du roi ; on se bouscule pour être bien placé lors des audiences pour être aperçu du roi. C'est bien cette image du courtisan que nous donne à lire La Bruyère dans ses Caractères :
« Il a une ferveur de novice pour toutes les petites pratiques de cour ; il sait où il faut se placer pour être vu ; il sait vous embrasser, prendre part à votre joie, vous faire coup sur coup des questions empressées sur votre santé, sur vos affaires ; et pendant que vous lui répondez, il perd le fil de sa curiosité, vous interrompt, entame un autre sujet ; ou s’il survient quelqu’un à qui il doive un discours tout différent, il sait, en achevant de vous congratuler, lui faire un compliment de condoléance : il pleure d’un œil, et il rit de l’autre. Se formant quelquefois sur les ministres ou sur le favori, il parle en public de choses frivoles, du vent, de la gelée ; il se tait au contraire, et fait le mystérieux sur ce qu’il sait de plus important, et plus volontiers encore sur ce qu’il ne sait point. »
Jean de La Bruyère (1645-1696), Les Caractères, 1688
> Texte intégral : Paris, Garnier frères, 1876