Marcel Proust
Otto van Bosch, photographe, XIXe siècle.
BnF, département de Droit, Économie, et Politique, JO-65809
© Bibliothèque nationale de France
À l’origine, Contre Sainte-Beuve devait être un essai contre la méthode du critique, mais le projet évolua rapidement, intégrant divers éléments narratifs et des impressions de lecture de Marcel Proust.
« J’aime lire Chateaubriand parce qu’en faisant entendre toutes les deux ou trois pages (comme après un intervalle de silence dans les nuits d’été on entend les deux notes, toujours les mêmes, qui composent le chant de la chouette) ce qui est son cri à lui, aussi monotone mais aussi inimitable, on sent bien ce que c’est qu’un poète. Il nous dit que rien n’est sur la terre, bientôt il mourra, l’oubli l’emportera ; nous sentons qu’il dit vrai, car il est un homme parmi les hommes ; mais tout d’un coup parmi ces événements, ces idées, par le mystère de sa nature il a découvert cette poésie qu’il cherche uniquement, et voici que cette pensée qui devrait nous attrister nous enchante et nous sentons non pas qu’il mourra, mais qu’il vit, qu’il est quelque chose de supérieur aux choses, aux événements, aux années, et nous sourions en pensant que ce quelque chose est le même que nous avons déjà aimé en lui. Cette permanence même nous enivre, car nous sentons qu’il y a quelque chose de plus haut que les événements, le néant, la mort, l’inutilité de tout ; et de ce que cette chose qui vainc tout, en lui est toujours une même chose, se ressemble à soi-même, nous éprouvons une nouvelle joie, comme si nous voyions que non seulement ce pouvoir merveilleux et transcendant existe, mais qu’il a donné naissance à des personnes merveilleuses et transcendantes reconnaissables à leur identité. Et quand Chateaubriand, tandis qu’il se lamente, donne son essor à cette personne merveilleuse et transcendante qu’il est, nous sourions, car, au moment même où il se dit anéanti, il s’évade, il vit d’une vie où l’on ne meurt point. »
 
 

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