Le Père Goriot
Vautrin
Le Père Goriot. Œuvres illustrées
Honoré de Balzac (1799-1850), auteur ; Marescq et Cie, éditeur, Paris, 1851-1853.
8 vol. : fig. ; in-4
BnF, département de Littérature et Art, Z-7762
© Bibliothèque nationale de France
Vautrin apparaît pour la première fois dans Le Père Goriot. On apprendra plus tard qu’il s’appelle, de son vrai nom, Jacques Collin. Ancien bagnard, il change régulièrement de pseudonyme. Au cours de sa tumultueuse carrière romanesque, Vautrin retournera au bagne, sera chef de la police de sûreté, aide-jardinier, mentor de Lucien de Rubempré… et finira assassiné.

« Entre ces deux personnages et les autres, Vautrin, l’homme de quarante ans, à favoris peints, servait de transition. Il était de ces gens dont le peuple dit : "Voilà un fameux gaillard !" Il avait les épaules larges, le buste bien développé, les muscles apparents, des mains épaisses, carrées et fortement marquées aux phalanges par des bouquets de poils touffus et d’un roux ardent. Sa figure, rayée par des rides prématurées, offrait des signes de dureté que démentaient ses manières souples et liantes. Sa voix de basse taille, en harmonie avec sa grosse gaité, ne déplaisait point. Il était obligeant et rieur. Si quelque serrures allaient mal, il l’avait bientôt démontée, rafistolée, huilée, limée, remontée, en disant : "Ça me connaît." Il connaissait tout d’ailleurs, les vaisseaux, la mer, la France, l’étranger, les affaires, les hommes, les événements, les lois, les hôtels et les prisons. Si quelqu’un se plaignait par trop, il lui offrait aussitôt ses services. Il avait prêté plusieurs fois de l’argent à madame Vauquer et à quelques pensionnaires ; mais ses obligés seraient morts plutôt que de ne pas le lui rendre, tant, malgré son air bonhomme, il imprimait de crainte par un certain regard profond et plein de résolutions. À la manière dont il lançait un jet de salive, il annonçait un sang-froid imperturbable qui ne devait pas le faire reculer devant un crime pour sortir d'une position équivoque. Comme un juge sévère, son œil semblait aller au fond de toutes les questions, de toutes les consciences, de tous les sentiments. Ses mœurs consistaient à sortir après le déjeuner, à revenir pour dîner, à décamper pour toute la soirée, et à rentrer vers minuit, à l'aide d'un passe-partout que lui avait confié madame Vauquer. Lui seul jouissait de cette faveur. Mais aussi était-il au mieux avec la veuve, qu'il appelait maman en la saisissant par la taille, flatterie peu comprise ! La bonne femme croyait la chose encore facile, tandis que Vautrin seul avait les bras assez long pour presser cette pesante circonférence. Un trait de son caractère était de payer généreusement quinze francs par mois pour le gloria qu'il prenait au dessert. »

Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1834.
>Texte intégral dans Gallica : Frune, Paris, 1842-1848
 
 

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