Palais-Royal
Le n° 113
Georg-Emmanuel Opiz (1775-1841), dessinateur, 1815.
Dessin à la plume et lavis à l'encre de Chine, aquarelle ; 34,7 x 26,8 cm
BnF, département des Estampes et de la Photographie, RESERVE FOL-VE-53 (G)
© Bibliothèque nationale de France
Splendeurs et misères des courtisanes est le fruit de neuf ans de travail (1838-1847), les quatre parties ont été publiées et remaniées au fur et à mesure. On y retrouve l'ancien forçat Vautrin en mentor de Lucien de Rubempré, le poète maudit des Illusions perdues. Il charge la maîtresse de Lucien, Esther Gobseck, une ancienne prostituée, de séduire le baron de Nucingen afin de lui voler quelques millions. Balzac se fait ici « l'historien des mœurs » de la prostitution et de la pègre, et a recours à l'argot de la pègre.
La scène suivante a lieu après le suicide de Lucien de Rubempré à la prison de la Conciergerie. Jacques Collin alias Carlos Herrera alias Vautrin dit aussi Trompe-la-Mort, est bouleversé par cette mort. Bibi-Lupin, le chef de la police, l’oblige à se montrer dans le préau de la prison, espérant qu’il se trahira face à ses anciens codétenus.
« — Ne fais pas de ragoût sur ton dab ! (n’éveille pas les soupçons sur ton maître) dit tout bas Jacques Collin d’une voix creuse et menaçante qui ressemblait assez au grognement sourd d’un lion. La raille (la police) est là, laisse-la couper dans le pont (donner dans le panneau). Je joue la mislocq (la comédie) pour un fanandel en fine pegrène (un camarade à toute extrémité).
Ceci fut dit avec l’onction d’un prêtre essayant de convertir des malheureux, et accompagné d’un regard par lequel Jacques Collin embrassa le préau, vit les surveillants sous les arcades, et les montra railleusement à ses trois compagnons.
— N’y a-t-il pas ici des cuisiniers ? Allumez vos clairs, et remouchez ! (voyez et observez !) Ne me conobrez pas, épargnons le poitou et engantez-moi en sanglier (ne me connaissez plus, prenons nos précautions et traitez-moi en prêtre), ou je vous effondre, vous, vos largues et votre aubert (je vous ruine, vous, vos femmes et votre fortune).
— T’as donc tafe de nozigues ? (tu te méfies donc de nous ?) dit Fil-de-Soie. Tu viens cromper ta tante (sauver ton ami).
— Madeleine est paré pour la placarde de vergne (est prêt pour la place de Grève), dit La Pouraille. […]
Ainsi, le coup monté par Bibi-Lupin manquait. Trompe-la-Mort, de même que Napoléon reconnu par ses soldats, obtenait soumission et respect des trois forçats. Deux mots avaient suffi. Ces deux mots étaient : vos largues et votre aubert, vos femmes et votre argent, le résumé de toutes les affections vraies de l’homme. Cette menace fut pour les trois forçats l’indice du suprême pouvoir, le dab tenait toujours leur fortune entre ses mains. Toujours tout-puissant au dehors, leur dab n’avait pas trahi, comme de faux frères le disaient. La colossale renommée d’adresse et d’habileté de leur chef stimula, d’ailleurs, la curiosité des trois forçats ; car, en prison, la curiosité devient le seul aiguillon de ces âmes flétries. La hardiesse du déguisement de Jacques Collin, conservé jusque sous les verrous de la Conciergerie, étourdissait d’ailleurs les trois criminels. »