Alfred de Musset (1810-1857), auteur ; Albert Maignan (1845-1908), illustrateur, Paris, Ed. La Société des amis des livres, 1895.
Patriarche d'une des grandes familles de Florence, érudit et idéaliste, Philippe Strozzi sait que pour sa part il n'a pas agi assez tôt contre la tyrannie, comme il le confesse dans l'acte II.
Acte II, scène 5
« Pauvre ville ! où les pères attendent ainsi le retour de leurs enfants ! Pauvre patrie ! Pauvre patrie ! Il y en a bien d'autres à cette heure qui ont pris leur manteau et leur épée pour s'enfoncer dans une nuit obscure ; et ceux qui les attendent ne sont point inquiets ; ils savent qu'ils mourront demain de misère, s'ils ne meurent de froid cette nuit. Et nous, dans ces palais somptueux, nous attendons qu'on nous insulte pour tirer nos épées ! Le propos d'un ivrogne nous transporte de colère, et disperse dans ces sombres rues nos fils et nos amis ! Mais les malheurs publics ne secouent pas la poussière de nos armes. On croit Philippe Strozzi un honnête homme, parce qu'il fait le bien sans empêcher le mal ; et maintenant, moi, père, que ne donnerais-je pas pour qu'il y eût au monde un être capable de me rendre mon fils et punir juridiquement l'insulte faite à ma fille ! Mais pourquoi empêcherait-on le mal qui m'arrive, quand je n'ai pas empêché celui qui arrive aux autres, moi qui en avais le pouvoir ? Je me suis courbé sur des livres, et j'ai rêvé pour ma patrie ce que j'admirais dans l'antiquité. Les murs criaient vengeance autour de moi, et je me bouchais les oreilles pour m'enfoncer dans mes méditations ; il a fallu que la tyrannie vînt me frapper au visage pour me faire dire : "Agissons !" et ma vengeance a des cheveux gris ! »
Alfred de Musset,
Lorenzaccio
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