Le Dernier Jour d'un condamné
Chanson d'argot « trouvée dans les papiers du condamné »
Le Dernier Jour d'un condamné
Victor Hugo (1802-1885), auteur, Paris, 1829.
BnF, Réserve des livres rares, RESP-Z-1149
© Bibliothèque nationale de France
La première édition du Dernier Jour d'un condamné paraît en 1829 sans nom d'auteur selon le vœu de Victor Hugo. Elle est accompagnée d'un fac-similé, plié en quatre, de la chanson d'argot « trouvée dans les papiers du condamné ».
Cette chanson, le condamné l’a entendue un jour où il était à l’infirmerie. Ses premières réactions permettent au lecteur d’en saisir le sens. Il trouvera dans le fac-similé une brève définition des mots d’argot.

« L'odeur étouffée de la prison me suffoquait plus que jamais, j'avais encore dans l'oreille tout ce bruit de chaînes des galériens, j'éprouvais une grande lassitude de Bicêtre. Il me semblait que le bon Dieu devrait bien avoir pitié de moi et m'envoyer au moins un petit oiseau pour chanter là, en face, au bord du toit.
Je ne sais si ce fut le bon Dieu ou le démon qui m'exauça, mais presque au même moment j'entendis s'élever sous ma fenêtre une voix, non celle d'un oiseau, mais bien mieux : la voix pure, fraîche, veloutée d'une jeune fille de quinze ans. Je levai la tête comme en sursaut, j'écoutai avidement la chanson qu'elle chantait. C'était un air lent et langoureux, une espèce de roucoulement triste et lamentable ; voici les paroles :
C'est dans la rue du Mail
Où j'ai été coltigé,
Maluré,
Par trois coquins de railles,
Lirlonfa malurette,
Sur mes sique' ont foncé,
Lirlonfa maluré.
[…]
Je n'en ai pas entendu et n'aurais pu en entendre davantage. Le sens à demi compris et à demi caché de cette horrible complainte, cette lutte du brigand avec le guet, ce voleur qu'il rencontre et qu'il dépêche à sa femme, cet épouvantable message : J'ai assassiné un homme et je suis arrêté, j'ai fait suer un chêne et je suis enfourraillé ; cette femme qui court à Versailles avec un placet, et cette Majesté qui s'indigne et menace le coupable de lui faire danser la danse où il n'y a pas de plancher ; et tout cela chanté sur l'air le plus doux et par la plus douce voix qui ait jamais endormi l'oreille humaine !...
J'en suis resté navré, glacé, anéanti. C'était une chose repoussante que toutes ces monstrueuses paroles sortant de cette bouche vermeille et fraîche. On eût dit la bave d'une limace sur une rose. »

Victor Hugo. Le Dernier Jour d'un condamné, chap. XVI.
> Texte intégral dans Gallica.
 
 

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