Victor Hugo (1802-1885), dessinateur.
« Parfois, la nuit, Gilliatt ouvrait les yeux et regardait l’ombre.
Il se sentait étrangement ému.
L’œil ouvert sur le noir. Situation lugubre ; anxiété.
La pression de l’ombre existe.
Un indicible plafond de ténèbres ; une haute obscurité sans plongeur possible ; de la lumière mêlée à cette obscurité, on ne sait quelle lumière vaincue et sombre ; de la clarté mise en poudre ; est-ce une semence ? est-ce une cendre ? des millions de flambeaux, nul éclairage ; une vaste ignition qui ne dit pas son secret, une diffusion de feu en poussière qui semble une volée d’étincelles arrêtée, le désordre du tourbillon et l’immobilité du sépulcre, le problème offrant une ouverture de précipice, l’énigme montrant et cachant sa face, l’infini masqué de noirceur, voilà la nuit. Cette superposition pèse à l’homme.
Cet amalgame de tous les mystères à la fois, du mystère cosmique comme du mystère fatal, accable la tête humaine.
La pression de l’ombre agit en sens inverse sur les différentes espèces d’âmes. L’homme devant la nuit se reconnaît incomplet. Il voit l’obscurité et sent l’infirmité. Le ciel noir, c’est l’homme aveugle. L’homme, face à face avec la nuit, s’abat, s’agenouille, se prosterne, se couche à plat ventre, rampe vers un trou, ou se cherche des ailes. Presque toujours il veut fuir cette présence informe de l’Inconnu. Il se demande ce que c’est ; il tremble, il se courbe, il ignore ; parfois aussi il veut y aller. »
Victor Hugo, « Sub umbrâ »,
Les Travailleurs de la mer, II, II, 5
> Texte intégral dans Gallica