Les Jeunes France
Estampe de Nanteuil pour l’édition originale
Théophile Gautier, auteur ; Célestin Nanteuil (1813-1873), graveur ; Eugène Renduel, libraire éditeur, Paris, 1833.
1 estampe : eau-forte ; 18,2 x 11,3 cm (élt d'impr.)
BnF, département des Estampes et de la Photographie, FOL-DC-290 (1)
© Bibliothèque nationale de France
Au début des années 1830, les jeunes romantiques sont dénommés « Jeunes France ». Le sens politique, de l’« Ode à la jeune France » de Victor Hugo saluant la révolution de Juillet 1830, s’efface au profit d’un sens plus littéraire voire mondain. L’expression désigne les jeunes romantiques des cénacles, enthousiastes et excessifs, passionnés par l’art. Ils portent les cheveux longs et la barbe. Rapidement l’expression est utilisée de manière péjorative pour moquer leurs coutumes et leurs ridicules, y compris par ceux qui en firent partie comme Théophile Gautier dans Les Jeunes France, romans goguenards, qui paraît en 1833. Dans la préface, il livre un premier portrait de ces dandies des années 1830.

« Lecteur, vous me savez maintenant sur le bout du doigt. Voilà ce que je suis, ou plutôt ce que j'étais il y a trois mois, car je suis fort changé depuis quelque temps.
Deux ou trois de mes camarades, voyant que je devenais tout à fait ours et maniaque, se sont emparés de moi et se sont mis à me former : ils ont fait de moi un Jeune-France accompli. J'ai un pseudonyme très long et une moustache fort courte ; j'ai une raie dans les cheveux, à la Raphaël. Mon tailleur m'a fait un gilet délirant. Je parle art pendant beaucoup de temps sans ravaler ma salive, et j'appelle bourgeois tous ceux qui ont un col de chemise. Le cigare ne me fait plus tousser ni pleurer, et je commence à fumer dans une pipe, assez crânement et sans trop vomir. Avant-hier, je me suis grisé d'une manière tout à fait byronnienne ; j'en ai encore mal à la tête : de plus, j'ai fait acquisition d'une mignonne petite dague en acier de Toscane, pas plus longue qu'un aiguillon de guêpe, avec quoi je trouerai tout doucettement votre peau blanchette, ma belle dame, dans les accès de jalousie italienne que j'aurai quand vous serez ma maîtresse, ce qui arrivera indubitablement bientôt. On m'a présenté dans plusieurs salons, par-devant plusieurs coteries, depuis le bleu de ciel le plus clair jusqu'à l'indigo le plus foncé. Là, j'ai entendu infiniment de cinquièmes actes, et encore plus d'élégies sur le malheur d'être abandonnée par son ou ses amants.
J'en ai moi-même récité un nombre incalculable, je me culotte, comme disent mes dignes amis, et il paraît que je deviens un homme à la mode. Mes deux cornacs prétendent même que j'ai eu plusieurs bonnes fortunes : soit, puisqu'on est convenu d'appeler cela ainsi.
Comme je suis naturellement olivâtre et fort pâle, les dames me trouvent d'un satanique et d'un désillusionné adorable ; les petites filles se disent entre elles que je dois avoir beaucoup souffert du cœur : du cœur, peu, mais de l'estomac, passablement.
Je suis décidé à exploiter cette bonne opinion qu'on a de moi. Je veux être le personnage cumulatif de toutes les variétés de don Juan, comme Bonaparte l'a été de tous les conquérants. »

Théophile Gautier, Les Jeunes France, romans goguenards, 1833
>Texte intégral dans Gallica : Charpentier, 1878
 
 

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