Le fiacre vu de dos
Crayon noir et encre bleue
Edouard Manet (1832-1883), dessinateur.
BnF, département des Estampes et de la Photographie, RESERVE DC-300D-BOITE ECU, De Leiris 481
© Bibliothèque nationale de France
Emma Bovary rejoint Léon à Rouen… La scène du fiacre, où sont enfermés les deux amants, parcourant Rouen en tous sens, a été supprimée par la Revue de Paris lors de la première publication, et sera pointée du doigt par le procureur impérial Ernest Pinard lors du procès pour outrage aux bonnes mœurs.

« — Où Monsieur va-t-il ? demanda le cocher.
— Où vous voudrez ! dit Léon poussant Emma dans la voiture.
Et la lourde machine se mit en route.
Elle descendit la rue Grand-Pont, traversa la place des Arts, le quai Napoléon, le pont Neuf et s’arrêta court devant la statue de Pierre Corneille.
— Continuez ! fit une voix qui sortait de l’intérieur.
La voiture repartit, et, se laissant, dès le carrefour La Fayette, emporter par la descente, elle entra au grand galop dans la gare du chemin de fer.
— Non, tout droit ! cria la même voix. […]
Elle revint ; et alors, sans parti pris ni direction, au hasard, elle vagabonda. On la vit à Saint-Pol, à Lescure, au mont Gargan, à la Rouge-Mare, et place du Gaillardbois ; rue Maladrerie, rue Dinanderie, devant Saint-Romain, Saint-Vivien, Saint-Maclou, Saint-Nicaise, — devant la Douane, — à la basse Vieille-Tour, aux Trois-Pipes et au Cimetière monumental. De temps à autre, le cocher sur son siège jetait aux cabarets des regards désespérés. Il ne comprenait pas quelle fureur de la locomotion poussait ces individus à ne vouloir point s’arrêter. Il essayait quelquefois, et aussitôt il entendait derrière lui partir des exclamations de colère. Alors il cinglait de plus belle ses deux rosses tout en sueur, mais sans prendre garde aux cahots, accrochant par-ci par-là, ne s’en souciant, démoralisé, et presque pleurant de soif, de fatigue et de tristesse.
Et sur le port, au milieu des camions et des barriques, et dans les rues, au coin des bornes, les bourgeois ouvraient de grands yeux ébahis devant cette chose si extraordinaire en province, une voiture à stores tendus, et qui apparaissait ainsi continuellement, plus close qu’un tombeau et ballottée comme un navire. »

Gustave Flaubert, Madame Bovary, 3e partie, chapitre I, 1857.
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Charpentier, 1881
 
 

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