Jeune femme lisant près d'un étang
Librairie romantique
Affiche
Eugène-Samuel Grasset (1845-1917), illustrateur, Paris, 1887.
1 estampe : lithographie, en coul. ; 126 x 88 cm
BnF, ENT DN-1 (GRASSET,Eugène/2)-ROUL
© Bibliothèque nationale de France
Au XIXe siècle, les topiques à propos du danger de la lecture pour les femmes ne manquent pas. Les romans sont accusés de leur gâter l’esprit, en les faisant par trop rêver. La représentation des passions serait même la cause de crises d’hystérie. Dans Madame Bovary, Flaubert joue de ces préjugés et affuble Emma de tous les traits de la lectrice romanesque pervertie. Balzac se faisait déjà l’écho de ces préjugés dans sa Physiologie du mariage (1829) :

« Les romans, et même tous les livres, peignent les sentiments et les choses avec des couleurs bien autrement brillantes que celles qui sont offertes par la nature ! […] Aussi, en lisant des drames et des romans, la femme, créature encore plus susceptible que nous de s'exalter, doit-elle éprouver d'enivrantes extases. Elle se crée une existence idéale auprès de laquelle tout pâlit ; elle ne tarde pas à tenter de réaliser cette vie voluptueuse, à essayer d'en transporter la magie en elle. Involontairement, elle passe de l'esprit à la lettre, et de l'âme aux sens. […]
Bien des maris se trouveront embarrassés pour empêcher leurs femmes de lire, il y en a même certains qui prétendront que la lecture a cet avantage qu'ils savent au moins ce que font les leurs quand elles lisent. D'abord, vous verrez dans la Méditation suivante combien la vie sédentaire rend une femme belliqueuse ; mais n'avez-vous donc jamais rencontré de ces êtres sans poésie, qui réussissent à pétrifier leurs pauvres compagnes, en réduisant la vie à tout ce qu'elle a de mécanique ? Étudiez ces grands hommes en leurs discours ! apprenez par cœur les admirables raisonnements par lesquels ils condamnent la poésie et les plaisirs de l'imagination.
Mais si après tous vos efforts votre femme persistait à vouloir lire..., mettez à l'instant même à sa disposition tous les livres possibles, depuis l'Abécédaire de son marmot jusqu'à René, livre plus dangereux pour vous entre ses mains que Thérèse philosophe. Vous pourriez la jeter dans un dégoût mortel de la lecture eu lui donnant des livres ennuyeux ; la plonger dans un idiotisme complet, avec Marie Alacoque, la Brosse de pénitence, ou avec les chansons qui étaient de mode au temps de Louis XV ; mais plus tard vous trouverez dans ce livre les moyens de si bien consumer le temps de votre femme, que toute espèce de lecture lui sera interdite. »

Honoré de Balzac, La Physiologie du mariage, 1829.
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Furne, 1842-1848
 
 

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